Dossier Rencontres anuelles

Comment rester humain dans ce monde en mutation ?

Dimanche 23 Novembre 2014 – L’homme et les technosciences – 89ème session

Isabelle Falque-Pierrotin présidente de la CNIL, Daniela Cerqui anthropologue, Paul Dumouchel philosophe, Bruno Latour anthropologue et philosophe des sciences. Une séance présidée par François Ernenwein, rédacteur en chef à la Croix.

Isabelle FALQUE-PIERROTIN

Lorsque je me suis plongée dans le programme de cette session, j’ai été frappée par un mot : demain, égrené au fil des manifestations. Il me semblait important de dire de prime abord, en tant que présidente de la CNIL, que ces sujets ne concernent pas seulement « demain ». Ce n’est pas de la science fiction. Ce sont des questions qui nous sont contemporaines, qui se posent dès aujourd’hui. Nous avons changé d’univers. Depuis ces 15 dernières années, nous sommes passés à une autre ère de l’information. Nous étions à l’ère de l’informatique qui calculait – et qui calculait fort bien –, nous sommes désormais à l’ère du « numérique ambiant ». L’individu est désormais au cœur d’un maillage d’informations qui viennent principalement de lui, mais aussi de toute une série de capteurs, qui peuvent aussi bien être le téléphone portable que bien d’autres outils électroniques connectés, comme ces montres que l’on porte au poignet et qui enregistrent de nombreux paramètres de santé. Ces capteurs et les données qu’ils fournissent sont de plus en plus finement analysés par les acteurs économiques et notamment par les géants du numérique afin d’offrir des biens et des services. Ce « numérique ambiant » transcende la division qu’on établissait naturellement entre l’univers physique d’un côté et l’univers on line de l’autre. C’est fini. Il n’y a plus de division entre le réel, le physique et le virtuel. Tout cela s’entremêle. Nous sommes tous plongés dans ce flux d’informations pour l’ensemble de nos activités tant privées que professionnelles. Cette infrastructure de la donnée est comme l’air : elle ne se voit pas, mais elle n’en existe pas moins. Elle existe même très fortement. Comment l’humain se tire-t-il de cette nouvelle situation ? La première réaction est éminemment positive. Cette infrastructure de données permet une explosion de la créativité humaine. On n’a jamais vu autant que ces dernières années d’innovations de biens et de services à la portée de tout un chacun, ou presque. Les échanges de voiture, les échanges d’appartements, la possibilité de produire soi-même son propre disque, toute une série d’innovations ont été rendues possibles par cette infrastructure d’informations dans laquelle nous sommes désormais plongés. Évidemment, de par ma position à la CNIL, je constate que ce numérique ambiant suscite un certain nombre de questions. J’en partagerai trois avec vous.

1. La première figure que je voudrais évoquer est celle de l’homme transparent.

Dans cet univers nouveau, dans ce déluge d’informations, les capacités d’analyse et de traitement des données sont quasi infinies. Et ces données sont partout ! Nous disposons de la capacité de connaître les individus, leurs habitudes de consommation, leurs modes de vie, les lieux où ils se déplacent, etc. Nous devinons presque leurs intentions et demain nous décrypterons leurs émotions. Ce n’est pas de la science-fiction. Cela devient extrêmement réel. D’autant que certains acteurs ont la possibilité de croiser des informations a priori séparées. Je pense à une société comme Google, qui est l’acteur au monde qui sait le plus de choses sur vous : il connaît vos recherches – donc vos centres d’intérêt ; il connaît les messages que vous échangez, votre localisation, dans certains cas, le lieu de vos rendez-vous. Il sait énormément de choses sur vous puisqu’il est capable de croiser des informations pour vous offrir des services personnalisés. Avec ses algorithmes, Google a la possibilité de connaître des individus avec une finesse sans précédent.

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