Dossier Rencontres anuelles

Conclusions

Par Jérôme Vignon, président des Semaines sociales de France

Conclusions de la session données lors de la session 2009 des Semaines sociales de France, « Nouvelles solidarité, nouvelle société »

Nous recherchions de nouvelles formes de solidarités. Nous avons rencontré des personnes qui nous ont bouleversés.

Sans doute vous souvenez-vous d’un témoignage donné en fin de matinée hier : « Il y avait une dame qui voulait m’aider… Mais comme je n’avais pas confiance en moi, je n’avais pas confiance en elle. Alors je n’ai pas voulu de son aide. Mais cette dame est revenue. Elle a encore proposé de m’aider. Alors j’ai cédé, j’ai accepté son aide et j’ai repris confiance en moi ». Comment alors ne pas songer au Dieu fidèle, éternellement, qui se tient à nos côtés et qui s’engage d’un amour inconditionnel, et fonde ainsi le socle d’une Alliance sur laquelle peut se développer la vie ?

À plusieurs reprises, grâce à la présence de ces personnes, l’émotion nous a submergés et les oeillères sont tombées. Ce faisant, nous avons été propulsés au cœur de notre foi. Dans une telle situation demeure cependant pour les intellectuels comme ceux des Semaines sociales l’humble exigence de continuer à rendre le monde intelligible; la tâche

modeste certes, mais nécessaire , de proposer un discernement social.

C’est ce que j’ose faire en vous proposant trois conclusions principales :

1. L’ urgence majeure pour l’avenir des solidarités

2. Les nouvelle s formes de solidarités, vraies réponses à ces signes des temps.

3. Ce que nous pouvons faire pour faire réussir les nouvelles solidarités.

1. L’urgence majeure pour l’avenir des solidarités

À maintes reprises, l’expression clé qui a surgi fut celle du vivre ensemble face à l’affaiblissement de ses motivations profondes, face à la nécessité de la recréation de ce qui tient la société debout, pour reprendre une autre expression employée par Pierre Calame. La question de la solidarité apparaît en effet globale. Elle n’est plus seulement sociale ou politique, mais vraiment culturelle. Elle porte sur la représentation que la société se fait de ce qui est bon. Aujourd’hui, en 2009, en France et en Europe, cette représentation tend à nier que la société à vocation à former un corps social, ce que la tradition chrétienne désigne comme une vocation à la fraternité.

Nous nous trouvons, si nous sommes chrétiens, en résistance avec l’air du temps. Ce diagnostic a été fait par plusieurs de nos grands intervenants au cours de la journée de vendredi. Mais c’est le jeune Jésuite, le père Éienne Grieu qui nous a donné de cette situation présente la clef la plus profonde: « Il se passe quelque chose de grave », a t-il dit. Tout se passe comme si les fondements anthropologiques du vivre ensemble étaient atteints. L’aspiration à la convergence et à l’unité est contredite par l’exclusivité des ‘échanges calculés’ comme finalité; les rassemblements identitaires et défensifs autour de la protection des acquis et du rejet de l’autre ; l’ignorance d’autrui comme sujet et comme acteur de la vie commune.

Bernard Lecomte l’a très bien rappelé : ce mal culturel contient une provocation directe à l’égard du monde chrétien. Si nous ne faisons pas preuve de vigilance, nous risquons d’être sournoisement gagnés par des visions non évangéliques véhiculées sous couvert de slogans. C’est pourquoi, il ne suffit pas d’en appeler seulement à une générosité personnelle – je vais d’ailleurs le fa i re moi-même – comme y incline parfois notre Église catholique aujourd’hui, même si elle n’est pas en reste de générosité et de vigilance. Savez-vous que les prêtres du diocèse de Lyon ont décidé de donner un mois de leur salaire pour lutter contre la pauvreté ? Avez-vous prêté attention à l’appel des évêques à Lourdes sur les risques nouveaux d’exclusion ?

Il faut aussi, au nom de « l’évangile social » rejeter les slogans. C’est ainsi que, comme chrétiens et citoyens, nous ne pouvons nous associer aux condamnations sans nuances de la protection sociale, au motif des charges qu’elle entraîne. Oui, nous sommes favorables à une gestion rigoureuse de ces dépenses sociales; leur légitimité en dépend. Mais nous ne nous associons en aucune manière aux dénonciations systématiques de la paresse, de l’esprit d’assistance et de fraude supposés des bénéficiaires, notamment lorsqu’il s’agit des allocations de chômage. À l’écoute des personnes vulnérables ou découragées dans la recherche d’emploi, nous voyons bien que ces dénonciations trahissent la vérité de l’humain qui aspire à contribuer, à être reçu comme ressource.

La sécurité sociale obligatoire dans son principe, en ce qu’elle instaure un droit social inconditionnel, garanti par la collectivité pour que chacun puisse vivre en dignité, fait écho à l’inconditionnalité de l’amour évangélique.

De la même façon, nous ne pouvons nous associer à la voie qui semble choisie aujourd’hui par les responsables gouvernementaux pour mette un terme au conflit social des travailleurs sans papiers, à savoir la menace d’une fermeture de toute entreprise qui en emploierait. En ce sens, je m’associe personnellement à la protestation émise aujourd’hui par la Cimade. Ayant écouté au sein de l’atelier « migrations » les problèmes complexes et les circonstances dans lesquels des travailleurs entrés illégalement ont ensuite été employés sans papier en CDI, nous pensons que seule une négociation associant toutes les parties prenantes peut tenir compte des liens de solidarité de fait qui se sont créés, et des difficultés concrètes dans l’application effective de législations. La légalité ne peut être jugée seulement sur la forme, mais dans la réalité pratique de sa mise en œuvre. C’est aussi cela, l‘exigence évangélique de l’accueil de l’étranger.

2. Les nouvelles formes de solidarités, vraies réponses à ces signes des temps

Les formes nouvelles de solidarité qui nous ont été exposées pendant ces trois jours sont d’actualité. D’abord parce qu’elles expriment une résistance contre cet esprit du temps, une sorte d’insurrection de la fraternité pour paraphraser l’abbé Pierre dont nous avons réentendu l‘appel à une insurrection de la bonté, prononcé il y a plus d’un demi siècle. Mais c’est aussi, positivement, parce qu’elles se constituent autour de ce qui peut fonder aujourd’hui ce vivre ensemble : en s’ouvrant à la complexité du monde, en accueillant l’hétérogénéité des situations personnelles, en répondant à l’aspiration à l’autonomie. C’est d’ailleurs pourquoi elles empruntent sans complexe à l’esprit entrepreneurial sa dimension de responsabilité et de créativité, dont Geoffroy Roux de Bézieux était l’avocat.

J’aime à souligner toutes les aspects profondément positifs de l’avenir qui s’avance vers nous, sous le visage de ces initiatives. Soyons des lecteurs encourageants dans le présent du monde et n’ajoutons jamais notre voix aux prophètes de malheurs. Trop de signes d’espérance nous ont été dispensés justement par les innovations que comportent

ces nouvelles formes de solidarité :

– Innovation de finalité: l’économie solidaire et la Responsabilité Sociale de l’Entreprise, au sens où Emmanuel Faber nous les a présentées, donnent à voir qu’on peut poursuivre à la fois une finalité économique et une finalité sociale.

– Innovation de méthode : on y développe des processus de décision qui s’appuient sur la construction d’un savoir collectif, prennent en compte les expériences et tirent leur force de la complémentarité, du besoin que nous avons les uns des autres.

– Innovation du regard: le christianisme n’est-il pas une religion du regard? Jésus regarda le jeune homme et l’aima. Il s’agit de partir des potentialités de chacun et non de ses déficiences.

3. Ce que nous pouvons faire pour faire réussir les nouvelles solidarités

Selon Vincent Peillon et Sylvie Goulard, pour que l’Europe réussisse nous devons être de meilleurs Européens. Selon Jean-Baptiste De Foucauld et Inès Minin, pour que la solidarité retrouve sa légitimité, nous devons être de meilleurs citoyens.

Les chrétiens ont-ils à cet égard une mission particulière ? Nous dirons donc plutôt qu’un élan intérieur les anime qui devrait les porter aux avant-postes de ce combat contre le mal qui ronge la vie sociale. La Bonne Nouvelle, c’est qu’il n’y a aucune contradiction entre la vocation à devenir chrétiens, disciples authentiques du Christ et la vocation à contribuer à la revitalisation de la solidarité dans nos sociétés. Dans les propos d’Étienne Grieu,“qu’as-tu fait de ton frère ?”, se trouvait à la fois l’invitation pour l’Église à retrouver le sens universel de la diaconie et un petit traité de philosophie politique.

Je vous proposerais donc quelques suggestions concrètes. Aucune n’est radicale ou décisive. C’est leur dimension symbolique qui importe. C’est l’encouragement qu’elles manifestent à nos décideurs politiques comme à l’adresse de nos concitoyens qui compte. Comme l’a dit Elena Lasida, nous ne devons pas craindre la démesure entre l’immensité des problèmes et la modestie de nos initiatives. Nous pouvons donner à voir, par la qualité de notre engagement qu’un autre avenir est possible.

Face à la montée des urgences, je vous invite d’abord à accroître vos dons à l’appel des mouvements de solidarité qui font campagne sur nos murs et dans notre courrier, en majorant nos contributions de 15 % par rapport à l’an passé, à la veille des achats de Noël. 15 %, c’est l’accroissement des demandes auxquelles doit faire face, à titre d’exemple, le Secours Catholique. Sachez d’ailleurs que la quête hier soir dans notre célébration a recueilli 7 100 Euros, soit environ 16 % de plus que l’an passé à Lyon. J’y vois un heureux présage. J’y vois aussi la possibilité pour nous d’inviter les pouvoirs publics à relever la part du budget social consacrée au soutien et à l’accompagnement vers l’emploi des personnes les plus éloignées du marché du travail, notamment les jeunes demandeurs d’emploi. Nous avons été alertés par Julien Damon sur la faiblesse relative des dépenses directement consacrées à la lutte contre la pauvreté dans l’ensemble des dépenses sociales françaises.

Je propose que nous mettions en exergue de nos préoccupations de solidarité la lutte contre le chômage, particulièrement contre le chômage des jeunes. Pierre Rosanvallon, Robert Rochefort et d’autres ont mis en relief ce trait de notre économie, en France particulièrement, qui solde les défaillances de son fonctionnement sur les jeunes générations.

Je propose à ceux d’entre nous qui exercent une responsabilité dans une entreprise, dans une branche professionnelle ou dans une organisation syndicale, de promouvoir un code de conduite pour l’accueil, la formation et l’accompagnement des nouvelles recrues, spécialement celles embauchées en contrat de stage ou en contrat à durée déterminée, afin de les aider à progresser, à accroître leurs chances d’accès à un emploi stable et de qualité. J’annonce, à ce propos, que les Semaines sociales de France vont reprendre l’étude de leur proposition d’instaurer un statut du travailleur associant au niveau du bassin d’emploi, les pouvoir publics, les partenaires sociaux, Pôle Emploi, à la mise en œuvre de ce que l’on appelle aujourd’hui la sécurité professionnelle.

J’invite ceux d’entre nous qui ont un rôle dans les accords conventionnels d’entreprise ou de branche à réfléchir aux possibilités d’utiliser les ressources de la formation permanente pour permettre à l’encadrement de consacrer une part de son temps à la formation ou à l’orientation des demandeurs d’emploi ou des personnes cherchant à créer une entreprise au moyen par exemple du micro crédit. Dans le même esprit, je propose d’étudier comment le dispositif des RTT pourrait être utilisé à cette fin d’encouragement à l’accompagnement volontaire des jeunes.

J’invite en votre nom les pouvoirs publics à envisager l’hypothèse de l’extension du service civique volontaire à toutes les générations, y compris dans le cadre des activités du nouveau Pôle Emploi particulièrement sous pression aujourd’hui, et à l’encourager, le cas échéant par un allègement des cotisations généralisées de solidarité.

En lien avec la Conférence des évêques de France, je propose que les Semaines sociales se concertent avec Solidarité nouvelles contre le chômage et le CCFD-Terre Solidaire afin d’étudier comment le prochain Carême pourrait donner l’occasion de mettre en relief une solidarité active contre le chômage. Je vois dans de telles propositions l’avantage de s’inscrire dans une démarche citoyenne plus large, au-delà des Semaines sociales, a fin de partager avec d’autres la richesse de notre espérance. Je compte soumettre au Conseil des Semaines sociales, la possibilité, de rejoindre l’initiative d’un forum civique présentée au cours de cette session par Jean-Baptiste de Foucauld, après avoir pris connaissance des engagements concrets envisagés par ce Forum, et sur base des présentes conclusions. J’y vois aussi la possibilité d’une contribution possible des chrétiens en Europe au cours des débats que l’Union européenne organisera au cours des trois années qui viennent, successivement autour de la lutte contre la pauvreté (2010), du volontariat (2011) et des solidarités inter générationnelles (2012).

Je vous adresse enfin un ultime appel à l’adhésion aux Semaines sociales de France, à devenir membre de l’association qui les anime.

Merci de remplir le bulletin contenu à cet effet dans votre dossier. Plus nous voulons aujourd’hui diffuser un message de sens, dans une société pluraliste et désorientée, plus il convient que notre voix soit portée par une communauté réelle devant laquelle ses responsables rendent des comptes.

J’espère que vous n’aurez pas reçu ces propositions comme des injonctions ou des obligations. Voyez-les comme des points de repères, de petits cailloux sur une voie où nous aurons, je l’espère pour nous tous, la joie d’être surpris par le travail qu’accomplit en nous et dans le monde l’Esprit de Dieu. Laissons-nous surprendre comme l’étaient ces hommes et ces femmes que nous décrit Matthieu lorsqu’ils interrogeaient : « Mais quand donc, Seigneur, t’avons-nous nourri, t’avons-nous vêtu, t’avons-nous visité ?

Cependant une autre voix, bien plus autorisée que la mienne vous prodigue à cet égard ses encouragements. Voici ce que nous écrit le Cardinal Tarcisio Bertone dans la lettre qu’il nous a adressée au jour de l’ouverture de cette session des Semaines sociales de France:

« Le Pape souhaite ainsi que s’esquissent les contours d’une nouvelle société où le don authentique, en affirmant le primat de la relation sur son affranchissement, du lien entre les sujets sur le bien donné, de l’identité personnelle sur l’utile, puisse trouver un espace d’expression dans tous les domaines de l’action humaine, y compris l’économie.

Invitant chacun à l’audace de la réflexion, le Pape adresse ses salutations cordiales à l’ensemble des personnes réunies à l’occasion de cette session des Semaines sociales de France. A tous le Saint-Père accorde avec joie sa bénédiction apostolique ».

Au moment d’adresser nos remerciements à ceux qui ont particulièrement œuvré à la préparation et à l’accueil de ces 84e Semaines sociales, je pense particulièrement à Monseigneur Pascal Delannoy et à ses équipes du diocèse de Saint-Denis en France, au Secours Catholique et à toute l’équipe réunie autour de Marie-Agnès Fontanier, à Denys Cordonner qui fut l’âme de notre rencontre avec les personnes en situation de pauvreté au cours de cette session, à Jean-Pierre Rosa et à la petite équipe du secrétariat des Semaines sociales heureusement secondée par tous les bénévoles.

Au moment de saluer aussi tous nos amis venus d’Europe et du monde qui ont donné une tournure universelle à notre quête de solidarité renouvelées, je voudrais seulement que mûrissent en nous les graines d’espérance qui se sont révélées à nous. C’est ce que je nous souhaite, en répétant le mot d’ordre du Secours catholique : « Je crois en toi » !

Je vous donne enfin rendez-vous l’an prochain, pour la 85e session des Semaines sociales. Elle s’inscrit dans la poursuite de notre élan d’aujourd’hui, et sera consacrée à l’immigration, à l’intégration dans une société multiculturelle et par conséquent encore à l’approfondissement de ce qui nous fait ensemble vivre.

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