Dossier Rencontres anuelles

L’homélie de la célébration eucharistique – session 2018

Dimanche 4 Novembre 2018 – Rencontres du christianisme social

L’homélie de la célébration eucharistique a été prononcée par Père Arnaud Favart, vicaire général de la Mission de France.

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Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu !Pas loin peut-être, mais c’est quoi, c’est qui ce royaume ?Il en va du royaume comme d’un semeur, d’un pêcheur, d’une boulangère, d’un employé (on disait serviteur), d’une noce, d’un départ en voyage, d’un jugement…Nombre de paraboles dans l’Evangile tentent de nous initier aux réalités du Royaume.Elles traversent finalement l’ensemble des activités humaines.Réalités en croissance, en fermentation, en développement, en crise, en rupture, …Lorsqu’il s’agit d’aller à l’essentiel, Jésus appelle ses disciples à chercher le Royaume et sa justice !La recherche du christianisme social ne serait-elle pas bien en proximité avec ce Royaume ?Répondre de ce qui est juste, répondre de ce qui met fin à la guerre, répondre de ce qui est digne et respectueux, répondre de l’éducation, répondre des arts et de la beauté, répondre de la science et de la technologie, répondre de choix politiques et de décisions qui engagent l’avenir…N’est-ce pas cela chercher le Royaume et sa justice ?Répondre de ses pensées, de ses actes, de ses omissions.Quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim, avoir soif, être nu, sans toit ni terre, en prison ou malade ?Répondre, Il me semble entendre là un des puissants ressorts du christianisme social.Ne pas laisser courir, ne pas laisser faire, ne pas fermer les yeux, mais AGIR, se former pour AGIR quand l’inhumain prend le dessus, quand l’avenir prend figure de mort.Répondre, car responsables ! c’est le même mot.Réponde ensemble, car responsable collectivement pour transformer la société et cultiver, produire du bien commun.

Cette porte d’entrée voudrait permettre de nous intéresser de plus prêt à la question de l’évangile du jour et aux réponses engagées par le scribe et Jésus.

Quel est le premier de tous les commandements ?En posant la question, le scribe fait-il le naïf ? Il connait la réponse et Jésus joue le jeu :« Dieu est l’unique Seigneur, l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même. »Il lui renvoie la réponse attendue : « Fort bien maître, tu as dit vrai. »Le scribe a pu vérifier que Jésus n’avait pas un enseignement différent de Moïse.La boucle est bouclée.

C’est bien le risque des questionnements : induire la réponse dans la question.

  • On peut le faire par stratégie :Poser la question de telle manière qu’il n’y aura pas d’autres issues.Bien des acteurs politiques manient cet art avec constance quand ils déclarent : « C’est la seule politique possible ! »
  • On peut le faire par manque d’ouverture culturelle. Le poids des habitudes, de l’éducation, des idéologies. Par son appartenance à un milieu social, on n’a pas été confronté à d’autres manières de penser ou d’agir. Alors on reste dans la reproduction.

« Personne n’osait plus interroger Jésus. » Dans l’évangile de Marc, les auditeurs semblent être rassurés par une réponse qui clôt la discussion. Il peut nous arriver de rencontrer des gens qui ont besoin d’être rassurés par une réponse. Je ne pense pas que ce soit la culture ici. Nous vivons dans une société de débat, nous aimons débattre et nous avons besoin de progresser en rebondissant de réponse en question nouvelle.

Tant qu’on n’a pas été confronté, déplacé, secoué, altéré par la pensée ou la pratique d’autres peuples, d’autres milieux, d’autres cultures, il est bien difficile de quitter les sentiers familiers.

C’est le propre des missionnaires de partir pour une autre rive, de quitter sa zone de confort, de vivre un déplacement, et voir les choses autrement.

L’évangile de Luc rapporte la même histoire, le même dialogue, la même réponse, mais il s’adresse à des Grecs. Hors du territoire d’Israël. La conversation se poursuit alors avec la parabole du bon Samaritain que nous connaissons bien, avec de nouvelles questions et de nouvelles réponses.

Le scribe voulant montrer le sérieux de sa recherche, poursuit le dialogue avec Jésus et lui demande : « Et qui est mon prochain ? »Et Jésus de répondre par la parabole avec la question :« Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ?Celui qui a fait preuve de bonté envers lui ? »Malgré l’ampleur magistrale de la parabole, permettez-moi de vous partager une petite déception.Là aussi, la réponse est dans la question. Je ne nous vois pas répondre autrement que le Samaritain.C’est du bon catéchisme.

Il y a quelques années, un de ces trop classiques accidents du samedi soir avait remué ce bout de Creuse où j’habitais. En équipe Mission de France, nous nous étions permis de retravailler la parabole en la contextualisant pour aujourd’hui.

Une voiture descendait de Jérusalem à Jéricho. A son bord cinq jeunes se rendaient en boîte de nuit, déjà éméchés par un début de soirée bien alcoolisé. Dans un virage un peu serré le conducteur perdit le contrôle du véhicule. Une belle embardée éjecta les passagers qui avaient négligé d’attacher leur ceinture. Une haie providentielle amortit le choc. Ce même soir, trois élus rentraient de la préfecture. Empruntant la même route, ils se succédèrent sur les lieux de l’accident.

En s’arrêtant, le premier élu reconnut un neveu parmi les cinq. Il commanda à tous de réembarquer au plus vite dans le véhicule et de regagner leur domicile avant que l’affaire ne s’ébruite.

Le second élu constata qu’aucun des jeunes, ivres et choqués par l’accident, n’étaient en état de conduire. Connaissant bien les parents, il proposa de les joindre par téléphone pour qu’ils viennent les chercher. Deux d’entre eux étant en grande rupture familiale tentèrent de négocier une autre solution.

Le troisième élu était la conseillère générale. Elle fit le même constat. Excédée par la répétition des faits et le récent souvenir d’un jeune devenu paraplégique, elle déclara qu’il fallait mettre un terme à ces comportements irresponsables. Elle brandit son portable pour appeler la gendarmerie. Furieux, les jeunes l’insultèrent et la menacèrent si les gendarmes venaient à enquêter.

Lequel des trois a fait preuve de bonté envers ces jeunes ?Un témoin de la scène me rapporta combien la discussion fut âpre. Chacun des élus avait une bonne raison d’agir ainsi, étant donné les conséquences pour l’emploi et l’avenir de ces jeunes.

Fallait-il faire preuve seulement de bonté ?Ce rendez-vous des Semaines sociales nous appelle à balayer un plus large champ d’action.

Lequel des trois a fait preuve de responsabilité ?En l’occurrence, la bonté du premier était-elle compatible avec le sens des responsabilités ?Conduire en état d’ivresse doit être l’interdit absolu parce que la vie est en jeu, la sienne comme celle des autres. Faire preuve de bonté ne consiste pas à tout accepter. Quand il sera trop tard pour faire valoir l’autorité, il ne restera que les yeux pour pleurer.

Lequel des trois a fait preuve d’une juste attitude ?Répondre de ses actes, mais également répondre de son silence, de son inconséquence ou de son incurie à n’avoir pas su écouter les victimes. Je pense que je n’ai pas besoin de vous faire de dessin sur les conséquences des affaires de pédophilie, tant la gouvernance de l’Eglise a failli.

Les défis sociaux, politiques, écologiques n’autorisent pas des réponses simples, prêtes-à-porter.Penser ensemble pour agir et travailler au bien commun.

Avec les Ecritures saintes, avec les ressources de la tradition, le christianisme social peut puiser dans bien des domaines pour inventer avec intelligence et pertinence des réponses pour AGIR.

Je me permets de terminer sur l’aubergiste associé. Il ne prend pas seulement la relève, il devient partenaire. Je l’interprète comme le signe d’un appel à ne pas rester dans l’entre soi, mais à comprendre nos responsabilités par une réponse élaborée avec d’autres partenaires, une coopération, une co-construction, comme vous dites.

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