Dossier Rencontres anuelles

Etranger, moi-même

Conférence donnée au cours de la session 1997 des Semaines sociales de France, «L’immigration, défis et richesses»

Paul Ricoeur, philosophe

Je remercie bien vivement Jean Boissonnat de m’avoir invité une fois encore aux Semaines sociales de France, et je félicite les organisateurs d’avoir rompu avec le mot émigré et proposé à tous de substituer à l’antagonisme immigration-émigration le terme englobant de migration, Ma contribution aura quelque chose à voir avec cette mutation qui ne doit pas rester dans les mots, mais passer dans les pensées et dans les cœurs.

Je voudrais donner à ma contribution la forme d’un parcours, d’un itinéraire. Je partirai de la certitude d’être bien chez moi, dans l’ignorance de l’étranger. Traversant ensuite le moment d’ébranlement lié au sentiment intime d’étrangeté, je terminerai par la redécouverte du devoir – et aussi du droit – de l’hospitalité.

Cet itinéraire est marqué à ses deux extrémités par deux textes bibliques de référence. Le premier fait mémoire d’un temps de captivité et de délivrance, et le second fait prophétie d’un temps de jugement où serait rendu manifeste ce que nous aurons fait de notre vie et de notre histoire.

Le premier est choisi parmi une série de textes appartenant à plusieurs traditions de l’Israël biblique, où résonne le même rappel à se souvenir « Car vous avez été étrangers au pays d’Égypte. » Tous les juifs font mémoire de ce texte, et d’autres semblables, dans des circonstances liturgiques, familiales ou privées. Ces textes se lisent dans l’Exode, le Deutéronome, le Lévitique. J’ai choisi le texte Lévitique 19, 34 parce qu’il intègre et intercale l’amour du prochain entre l’exhortation à l’hospitalité et le souvenir d’avoir été étranger. Voici ce texte : je le lis dans la Bible de Jérusalem, pour laquelle j’ai une préférence particulière : « L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte. »

Voici la pointe : le souvenir justifie l’hospitalité ; le « car » et en outre le « comme » (comme un compatriote, comme toi-même) lient l’hospitalité au commandement d’amour. Je dirai peu de chose, en commençant, du deuxième thème qui appartient à la séquence appelée « jugement dernier » dans Matthieu 25 ; les spécialistes désignent ce texte de « petite eschatologie » parce qu’il évoque un jugement final, lequel est un double jugement : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli », « J’étais étranger et vous ne m’avez pas accueilli. »

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