Dossier Rencontres anuelles

La transition fulgurante

Vendredi 21 Novembre 2014 – L’homme et les technosciences – 89ème session

Pierre Giorgini président-recteur de l’Université catholique de Lille et Jean-Claude Guillebaud journaliste et essayiste. Séance présidée par Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de La Vie.

Pierre GIORGINI

Je vous propose une mise en perspective qui s’appuie sur mon expérience professionnelle. Je suis un peu comme le Facteur Cheval, j’ai ramassé des cailloux dans mon sac et je propose de les mettre en perspective pour ouvrir une vision qui doit être contestable et contestée. C’est ce que nous faisons dans notre ouvrage [1] avec une seconde partie qui ouvre à des contrepoints interdisciplinaires. Nous vivons une transition que je qualifie de fulgurante, liée à un phénomène systémique, d’entropie, c’est-à-dire où tous les éléments du système jouent les uns sur les autres, provoquant une transition qui est à la fois d’ordre technoscientifique, d’ordre social – avec un changement de paradigme des systèmes de coopération interhumains – et d’ordre économique. La transition d’ordre technoscientifique est due à une combinatoire. Nous avons identifié 26 sept facteurs qui se combinent entre eux et avec l’explosion du co-élaboratif et de l’économie créative, produisant cette transition fulgurante. Concernant les facteurs technoscientifiques, l’idée est de montrer que l’on est sur une transformation de type systémique. Au coeur du réacteur se trouve l’hyper-puissance digitale dont on oublie un peu vite qu’elle n’a pas été linéaire, mais exponentielle : par exemple, en matière de traitement d’informations, nous en sommes au téra, soit mille milliards d’opérations par seconde qui tiennent sur 1/4 de confetti ; en matière de stockage, le holographic video disc qui arrivera bientôt dans les cartables de nos enfants fera 4 téras (4 000 milliards de caractères) et le multicouche fera 40 téras, soit l’équivalent de la bibliothèque François Mitterrand. Nous assistons donc à un changement d’échelle. En matière de transport de l’information, quand Léon Zitrone animait une émission en mondovision en 1962, nous avions 27 minutes d’antenne, alors que maintenant, sur un câble multifibres transatlantique, nous transportons, en simultané, 10 millions de canaux de TV HD couleur. Première rupture : ce coeur du réacteur va interagir avec tous les autres éléments et porter au fond cette transformation technoscientifique.

• La première combinatoire concerne l’homme augmenté, connecté. Je prendrai l’exemple des Google glasses qui produisent une transformation de taille. En temps réel, où que vous soyez, quoi que vous fassiez, vous pourrez mobiliser, superposé à votre vue sur un écran placé de l’autre côté de l’oeil directeur, l’ensemble du monde Internet, de façon simultanée. Même si les Google glasses essuient actuellement un revers aux USA avec 72 % des Américains qui demandent leur interdiction à cause de la petite caméra placée sur le côté, Google prépare une réponse avec une Led qui s’allume quand vous filmez. Autre exemple de cette machinisation de l’homme : le bras ionique, commandé directement par le cerveau et qui permet à la personne non seulement de commander son bras, mais aussi de reconnaître les formes saisies grâce à des signaux myoélectriques que l’on est maintenant capables de capter.

• Le deuxième élément de combinatoire est l’humanisation des machines, qui progresse très vite. Le programme Calico initié par Google vise la convergence de l’humanisation des machines et de la machinisation de l’homme. Il faut remarquer les investissements qu’ils font sur la robotique et l’intelligence artificielle. Ce deuxième facteur concerne les agents et machines intelligentes. Vous pouvez louer, pour 97 000 dollars par an, un robot coréen qui réalise à peu près 80 % des tâches d’un ouvrier spécialisé. Ces agents intelligents nous posent beaucoup de problèmes. Une agence américaine de presse annonce pour 2020 le premier journal économique entièrement rédigé par des robots avec des éléments de subjectivité du style « faites-moi une analyse un peu optimiste ou pessimiste sur l’économie américaine ». Vous voyez les implications que cela peut avoir dans l’enseignement, car le lien étroit entre apprendre et retenir, entre apprendre et investiguer, se trouve questionné par ces technologies. Au travers de cette humanisation des machines, on perçoit ce qui se dessine.

  1. Pierre Giorgini, La Transition fulgurante, Bayard, 2014.

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