Dossier Rencontres anuelles

Vers un nouveau contrat social

Par Bernard Ibal

Conférence donnée au cours de la session 2002 des Semaines Sociales de France, »La violence, Comment vivre ensemble ? »

Séance présidée par Monique Mitrani, membre du conseil économique et social, membre du conseil des Semaines Sociales de France.

BERNARD IBAL, docteur en philosophie, vice-président des Semaines sociales de France.

Quand on a l’avantage (ou l’inconvénient) de faire la dernière conférence, on peut au moins faire l’économie d’une introduction. Entrons donc dans le vif du sujet, et disons que, face à la violence qui nous assaille, le premier acte de rejet est la recherche d’un cessez-le-feu. Ici commence l’idée d’un contrat social.

I. Contrat social par peur de l’altérité d’autrui

Le mythe fondateur de nos sociétés modernes occidentales est justement celui d’un cessez-le-feu pour lequel les hommes vivant dans une même contrée auraient pris conscience que, tous comptes faits, il valait mieux vivre en paix, voire en collaboration, quitte à renoncer aux intérêts individuels ou claniques, plutôt que de vivre dans le risque perpétuel de s’entre-déchirer. On retrouve ce mythe des guerriers fatigués de la guerre et passant un Contrat Social de paix, chez Hobbes comme chez Rousseau, on va le voir. Que ce contrat n’ait jamais explicitement lieu n’a pas d’importance, le contrat est la représentation que les hommes se font d’eux-mêmes et de la réciprocité de leurs rôles dans la société et dans la loi. L’enjeu de ce pacte social fondateur se résume en une question : comment gérer la violence dangereuse des hommes ? Comment gérer la peur que chacun a de l’autre ? L’expérience de l’altérité, l’expérience de l’Autre, est toujours celle du non-moi, de l’incontrôlé, de l’immaîtrisé, de l’impondérable, bref du danger. L’altérité d’autrui, le fait qu’il soit autre, est un risque pour le « conatus « selon le mot de Hobbes, c’est-à-dire essentiellement pour l’instinct de conservation. C’est la même angoisse de la mort, c’est la même peur de l’autre qui chez Hobbes d’une part incite à la violence à l’état de nature, et qui d’autre part invite au contrat social qui doit, toujours chez Hobbes, nous sortir de cet état de nature où « l’homme est un loup pour l’homme ». C’est la même peur de la mort (il le dit) avant et pendant la contractualisation, et pourtant quelque chose d’essentiel change avec le contrat social : la violence par laquelle je tue, avant qu’on ne me tue, tente de nier autrui, d’éliminer cette altérité dangereuse ; au contraire, en reconnaissant autrui comme partenaire du contrat social, je reconnais, je prends acte, je tiens compte de cette altérité.

Certes, en un troisième temps, celui de la mise en œuvre du pacte, l’altérité d’autrui est à nouveau niée : au chapitre 17 du Léviathan, Hobbes écrit : « C’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée (bref, le souverain) et je lui abandonne mon droit à me gouverner moi-même, à cette condition que toi aussi tu lui abandonnes ton droit « . La peur de l’autre conduit à une telle garantie de neutralisation de son altérité que le pouvoir du souverain doit être absolu et irréversible. Quels que soient les abus éventuels apparents de ce pouvoir, il garde la légitimité du monopole de la violence, car la violence de « l’état de nature « anarchique est pire que toute éventuelle violence du souverain. Au danger de mort à « l’état de nature « , le contrat social de Hobbes ne substitue qu’une mortification de mes volontés. Celle-ci a cependant une limite : si le souverain menace la vie de ses sujets, ceux-ci peuvent se défendre ; n’oublions pas que le but social est dicté par le « conatus », la sauvegarde de sa propre vie. En fin de compte, l’altérité d’autrui n’a été reconnue pour la première fois lors du contrat que pour être mieux niée après le contrat.

[Retrouvez l’intégralité de cette conférence dans les actes de la session 2002 aux éditions Bayard, disponibles en librairie]

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