Dossier Rencontres anuelles

Ouverture de la session 2002

Par Michel Camdessus

Ouverture de la session 2002 des Semaines Sociales de France, « La violence, Comment vivre ensemble ? »

Mes Chers Amis,

Il y a quelque temps, nous nous sommes demandés avec nos amis du Conseil des Semaines Sociales de France, comment répondre à la question fondamentale : « Que dites-vous de vous-même ? » Comment, précisément, dire en moins de vingt mots, ce que sont les Semaines Sociales. La formule choisie fut celle-ci : « un lieu de rencontre pour imaginer le regard du Christ sur les réalités sociales d’aujourd’hui ». Il va sans dire que ce fut Jean Boissonnat qui la trouva…

Mais sur quel aspect de notre vécu, imaginer ce regard ? Là, il y a dix-huit mois, la violence s’est imposée à nous comme le sujet incontournable. Évidemment, nous avions à l’esprit cette violence aux visages nouveaux avec son cortège d’insécurité et de peurs dont l’actualité est remplie et qui a dominé les dernières consultations électorales françaises… mais nous n’avions pas encore vécu le 11 Septembre et la guerre en Afghanistan et nous n’avions pas vécu le débat qui s’est achevé la semaine dernière aux Nations Unies sur les termes de la résolution 1441 et les conditions du déclenchement éventuel d’une guerre en Irak. En vous proposant alors d’arrêter notre réflexion sur la violence, nous ne pouvions donc mieux tomber sur ce qui est au cœur de la réalité sociale, nationale et internationale, aujourd’hui. Mais cette distinction nationale/internationale a-t-elle encore un sens ? Et la mondialisation ne nous oblige-t-elle pas à reconnaître la violence au-delà de nos frontières, comme une part de notre violence intime ?

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La violence est partout. Elle est de toujours ; mais elle nous apparaît peut-être plus redoutable et déconcertante encore sous les aspects les plus nouveaux. Violence, par exemple, des plus jeunes et violence faite aux plus jeunes et aux plus vulnérables. Il n’y a pas si longtemps, la société s’organisait contre la violence faite aux possédants, à l’ordre établi. Aujourd’hui, c’est la violence faite aux pauvres qui secoue l’ensemble de l’organisation sociale. Chacun est remis en question, à commencer par les institutions qui sont les piliers de l’État, l’école, la justice, la police. Chacune est sollicitée à l’extrême, débordée, pressée de jouer de quelque manière un rôle de SAMU Social pour lequel aucune -y compris parfois les institutions à vocation sociale- n’est bien préparée et toutes partageant le sentiment de la démission des autres, de tous les autres.

De là, un trouble profond des institutions, de leurs agents, de nous tous, et, je pense, le fait que nous soyons si nombreux à nous réunir ici, ce matin. Si nous sommes là, c’est aussi que nous percevons qu’il n’y a pas de solution simple, d’ « il n’y a qu’à… » ; c’est que nous savons que ce serait une réaction archaïque -bien que la tentation en soit constante, nous le verrons demain avec René Girard- de chercher un ou des « boucs émissaires ». C’est précisément parce que cette interrogation est profonde et pressante que nous voulons rencontrer des hommes et des femmes qui, chacun à leur manière, ont accepté d’être confrontés à ce phénomène, d’y consacrer leur réflexion et, je reprends les mots de Jean Boissonnat, qui sont capables de nous aider à « imaginer le regard du Christ » sur cet aspect-là de notre vie aujourd’hui.

Avec eux, nous tenterons de mieux reconnaître la source de cette violence, et d’abord en nous-mêmes, comme Caïn invité par Dieu à repérer cette bête tapie à sa porte..

Ils nous aiderons à affiner notre regard sur le monde, à mieux discerner le sens des comportements ; à explorer enfin de nouveaux chemins pour préserver, renforcer, réinventer s’il le faut le vivre ensemble…

Je ne vous propose pas de parcourir à nouveau le programme de ces trois jours, vous l’avez déjà certainement parcouru et médité. Permettez-moi simplement de formuler quelques très simples remarques.

Et d’abord, vous dire que l’exercice sera, une fois de plus, matériellement austère. Une fois de plus, nous jouons à guichets fermés, ce qui veut dire qu’il faudra faire preuve de beaucoup de non-violence pour accéder à vos places et de discipline pour les abandonner. Je vous ai déjà dit l’an dernier que ce sera mieux l’année prochaine. Cela ne l’est qu’un peu. Mais c’est promis, en 2003, nous aurons nettement plus de place…

Il sera aussi exigeant pour l’esprit : je suis frappé du mal qu’ont les philosophes à s’entendre sur une définition de la violence et les maîtres en éthique à nous dire ce qu’il faut en faire, la laisser s’exprimer, l’étouffer dans l’œuf, la conjurer, la réguler, la canaliser, la maîtriser…

Exercice décapant parce qu’il nous révèlera la médiocrité de nos accommodements quotidiens avec la violence et combien nous sommes loin d’être de vrais « artisans de la paix » ; parce qu’il nous montrera aussi combien nous sommes exposés à la tentation du découragement, devant cette omniprésence de la violence et du mal, qui nous ferait si facilement redire le mot de Caïn : suis-je responsable de mon frère ?

Exercice libérant aussi parce que chemin faisant, nous allons voir le procès de la violence devenir un triple procès en réhabilitation, non pas celui de la violence, mais d’une part celui du conflit qui est notre vraie condition, celui de la réhabilitation des institutions mais aussi et surtout la réhabilitation du politique, dont la Commission Sociale des Évêques de France nous a si bien rappelé, dans un texte de février 1999, que « l’un des buts est de maîtriser la violence partout où elle est présente », de nous « sortir de l’animalité de la violence brute ».

Exercice revigorant, enfin, parce qu’il sera invitation à explorer toute la richesse des expériences de ceux qui -en général sans visibilité médiatique- font front devant la violence, explorent des chemins nouveaux pour « refaire société » et dans un univers mondialisé, pour « faire humanité », trouver des voies de réconciliation, rendre possible, envers et contre tout, un dialogue apaisé des civilisations. Les Carrefours qui vous sont proposés sont là pour que nous allions plus loin dans cette exploration.

Mais -et c’est par là que je termine- ce sera un exercice seulement partiel. Ce thème est si protéiforme qu’il aurait fallu une vraie semaine pour le traiter. Or, nous avons été contraints de devenir très « post-modernes » aux Semaines Sociales de France et à réduire notre semaine de travail non pas à 35 heures, ni à quatre jours, mais seulement à trois. Il nous a donc fallu faire un choix et pour garder une certaine logique, décider que, pour l’essentiel, nous traiterons de la violence économique l’année prochaine en consacrant notre session 2003 à l’argent.

Il faudra donc faire un tout des deux semaine 2002 et 2003 et pour en assurer la jonction, dès cette année, trois importants Carrefours auxquels vous avez déjà été nombreux à vous inscrire, traiteront certains aspects économiques de la violence :

* l’un, animé par Jean-Marie Fardeau, Secrétaire général du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement, sur le comment d’un agir pour la paix ;

* un autre, animé par « Les Amis Aquitains des Semaines Sociales de France », Pierre Levené, Secrétaire général du Secours Catholique, avec la participation d’ADT Quart-Monde sur l’exclusion ;

* un troisième, sur les relations Nord-Sud : comment passer de la violence au partenariat, animée par Marie-Odile Bruny de l’Antenne sociale de Lyon ;

* enfin, Alain Deleu, Président de la CFTC, en qualité de « Grand Témoin » nous parlera des conflits sociaux et violence économique.

Voilà, puis-je maintenant laisser ce micro à Christine Sartori qui va nous donner lecture du message du Saint-Père et comme j’ai déjà eu la chance d’en prendre connaissance, permettez-moi de prier Mgr le Nonce Apostolique d’exprimer toute notre gratitude au Saint-Père pour les paroles qu’il nous adresse ici, tout comme pour l’extraordinaire exemple qu’il donne au monde d’un inlassable combat contre la violence et d’espérance de la paix.

Michel Camdessus,

Président des Semaines Sociales de France

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