Dossier Rencontres anuelles

Conclusion de la session 2001

Par Michel Camdessus

Conclusion de la session 2001 des Semaines Sociales de France, »Biologie, médecine et société. Que ferons-nous de l’homme ? »

Comment conclure, comment reprendre en quelques mots l’essentiel de ce qui s’est passé ?

Par votre nombre, la gravité de votre écoute, l’animation des débats, l’intensité de votre participation tout au long de ces journées, vous avez manifesté non seulement l’importance de ces questions, mais aussi la conviction que, par-delà les espérances, les inquiétudes, nous sommes surtout en présence de questions qui appellent réflexion et débat, et cela pour un grand nombre de nos compatriotes, bien au-delà de la famille bien vivante des « chrétiens sociaux ».

Ces trois jours nous ont fait mieux sentir ce qui était en jeu. Dans toutes ces avancées scientifiques et les changements qu’elles induisent, comme Jean-Claude Guillebaud le montre si bien, le  » principe même d’humanité  » est en cause. Ces journées ont été une invitation au discernement, discernement difficile tellement espoirs, promesses et craintes s’entremêlent, tellement surtout la vitesse même des changements nous déborde.

Mais cette rencontre nous a amenés plus loin. C’est à un véritable retournement de perspectives que nous sommes invités. Nous venions ici pour nous demander comment notre société -assez contente d’elle-même et de son humanisme- pourrait faire un peu plus de place à l’handicapé ou au malade et soit plus prudente dans ses choix chaque fois que la vie est en cause. Ce que nous avons mieux réalisé, et ici nous devons être très reconnaissants à Xavier Le Pichon, au Frère Bruno Cadoré et à Françoise Le Corre de nous y avoir aidés, c’est que c’est d’un retournement de perspectives qu’il s’agit si nous voulons que cette société soit véritablement -je reprends le mot de Bruno Cadoré-  » hospitalière  » pour tous et d’abord pour les plus faibles. Pour le dire plus familièrement, nous avons bien compris que notre société  » va dans le mur  » si elle détourne son regard du plus faible, si elle ne le place pas au cœur de la cité, et au cœur, cela veut dire aussi  » de tout cœur  » au cœur de la cité ; et nous devons toujours rappeler que cette dignité-là n’est pas affaire de seuils et que c’est notre affaire à tous.

Le soin est l’un des lieux privilégiés de la prise en charge de la fragilité, et donc un des lieux où la société définit son degré d’humanité. Je ne reviens pas sur tout ce qui a été dit de la relation malade-médecin, si ce n’est pour souligner l’importance de tous les aspects de la relation et du dialogue.

A ce propos, je dois dire combien a été regrettée la décision de limiter l’obligation de l’entretien préalable à l’IVG au cas des mineures de moins de 18 ans. Il y a là un repli -un recul du dialogue- qui, dans un pays où il a encore un avortement pour deux naissances, est difficile à comprendre et à admettre.

Au-delà, nous nous sommes arrêtés à deux autres questions plus vastes pour nos sociétés :

– celle du sens de la justice et de la solidarité qu’elles témoignent en ce domaine,

– et celle du respect de la dignité de la vie humaine à ses moments extrêmes de fragilité, en son début et en sa fin.

1°) Justice et solidarité d’abord.

Le souci du  » vulnérable  » doit être central. Cela implique que l’on revoit bien des choses chez nous où l’écart reste grand entre les attentes de santé du public et la réalité concrète du soin, et que dans nos politiques de santé, l’équité de l’accès au soin soit vue comme un impératif politique ; un principe simple a été suggéré :  » le mieux possible pour tous, plutôt que l’excellence pour le petit nombre « . Cela implique aussi qu’il y ait une politique de la recherche médicale dont les orientations soient clairement définies par les pouvoirs publics en fonction de nos carences sociales. Voilà pour la France. Mais il y a aussi la terrible et croissante inégalité des hommes en ce qui concerne leur santé et leur espérance de vie. Il y a, nous disait le Professeur Gentilini, un écart de 1 à 300 entre les dépenses médicales par personne entre les pays les plus pauvres et les plus riches. Nous avons entendu là-dessus les propositions très claires de M. Brunhes. Nous les soutenons et j’ajoute qu’au moment où le gouvernement français, dont malheureusement l’aide publique au développement est en chute très préoccupante, manifeste le désir de trouver des financements multilatéraux pour ce qu’il est convenu d’appeler les biens publics mondiaux, nous ne pouvons que suggérer que la recherche concernant les maladies tropicales qui, évidemment, n’intéresse guère aujourd’hui les laboratoires puisque n’ouvrant guère de marchés rentables, figure bien au nombre de ces biens publics globaux reconnus et fasse donc l’objet de financements publics internationaux prioritaires.

Ceci pourrait être le premier volet de ce grand programme mondial d’assistance contre l’inégalité devant la maladie et la mort dont Bernard Brunhes nous signalait et la faisabilité et l’urgence. J’ajouterais que ce serait une manière pour notre pays de renverser la tendance choquante de la réduction de notre aide au développement en proportion du PIB et de nous remettre dans un mouvement positif vers le 0,7 %. Nous devrons ici exercer notre vigilance de citoyens pour nous assurer que, pour cette initiative qui n’aura pas d’avocats très bruyants, on puisse vérifier, année après année, que l’on est passé de la parole aux actes.

2°) Respect de la vie, à laquelle, ne l’oublions pas, appartient la mort.

Voici un domaine où pour nous, ici, citoyens dans l’Etat et fidèles dans l’Eglise, l’appel de l’Evangile et les décisions ou les législations de l’Etat ont grande importance. Je dirai avec plus qu’un brin d’impertinence pour ces deux autorités que nous avons toujours tendance à redouter un peu, que l’une soit parfois en avance d’un interdit et l’autre souvent en avance d’une permission. Peut-être nous trompons-nous !

Mais nous aimons que l’Eglise éclaire nos consciences, constamment menacées de quelque égarement, tout en les respectant dans leur perplexité et l’épouvantable complexité des situations qu’il nous faut affronter. C’est, entre autre, pour cela que nous avons été touchés et encouragés par le ton et la substance du message du Saint-Père : son partage de notre enthousiasme pour les promesses de la biomédecine, ses mises en garde contre tout ce qui porte atteinte à la personne humaine, sa chaleureuse appréciation pour tous ceux -et ils sont nombreux- ici qui travaillent au service médical ou paramédical des malades.Venant d’un homme qui, contre tous les vents et marées de ce siècle, a su ne jamais transiger quand il s’agissait de la dignité humaine, ces paroles auront un écho durable dans nos cœurs.

Que dire du débat politique ?

D’abord qu’il est urgent car, nous le sentons bien, ces questions de justice, de solidarité, de respect de la vie, ces options qui définissent une civilisation sont politiques par excellence. Il nous arrive de nous plaindre de voir le débat politique se traîner, disons, trop au-dessous des grands enjeux, eh bien voici que s’offre à nous un sujet qui mérite de secouer nos somnolences. Ceci appelle un débat citoyen, car il y a là des questions qui ne peuvent être laissées aux spécialistes. Lorsqu’il s’agit d’éthique, ils se reconnaissent d’ailleurs incompétents et se renvoient la balle.

Le citoyen doit trancher, mais lui aussi se récusera si des éléments d’appréciation premiers ne lui sont pas apportés. Il nous faut des citoyens debout et pour cela, des citoyens informés. Or, nous le sommes très mal. Les institutions doivent évidemment -notamment les structures d’éducation et les médias- assumer ce devoir d’informer, mais nous avons, nous-mêmes, le devoir de nous informer. C’est à cela que nous travaillons de notre mieux aux Semaines Sociales de France et continuerons de travailler avec nos antennes régionales. Ces problèmes requièrent des décisions, des décisions urgentes, parfois simplement administratives, parfois des changements de la loi, parfois aussi, lorsque la communauté nationale demeure perplexe et les esprits mal préparés, la décision sage -et qui ne requiert pas moins de courage- de surseoir à statuer. Car des décisions où il y va de l’homme même et du respect qui lui est dû, ne peuvent pas faire l’objet d’allers et retours législatifs comme on nationaliserait ou dénationaliserait une entreprise publique. Dire cela suggère déjà une certaine approche. Il est important que la loi soit respectée et donc que, aussitôt que possible, les textes de 1994 soient soumis à la révision prévue au terme de cinq ans. Il nous a été dit que, sur bien des points, des ajustements qui, aujourd’hui, ne soulèvent guère de difficultés majeures, peuvent être apportés. Qu’ils le soient. Il n’en va pas de même de la question dont nous avons tellement parlé au cours de ces trois jours, de la levée de l’interdiction du clonage thérapeutique, dont l’utilisation des embryons surnuméraires ne serait que le premier avatar. Sur ce point, les perplexités sont grandes ; les nôtres, chrétiens sociaux, mais aussi celles de personnalités éminentes qui ne partagent pas notre foi. Nous avons entendu Monette Vacquin -et nous la remercions d’être revenue de Normandie pour être de nouveau avec nous cet après-midi-. Elle nous parlait hier du  » tableau délirant  » dans lequel nous sommes peut-être déjà, et qui nous menacera d’autant plus qu’on lèvera l’interdit du clonage thérapeutique ; nous avons entendu les perplexités aussi -pour dire le moins- d’Axel Kahn.

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