Dossier Rencontres anuelles

Conclusion de la session 2000

Conclusion de la session 2000 des Semaines sociales de France, « Travailler et vivre »

JEAN BOISSONNAT, président des Semaine sociales

Nous voici au terme de cette 75e session des Semaines Sociales de France consacrée à « Travailler et vivre ». Une fois de plus, nous avons rempli à ras bord les salles du PACI. C’est même la première fois que nous avons dû accueillir les participants non seulement dans cette grande salle et dans une salle annexe, mais aussi dans une deuxième salle annexe. Merci à tous d’avoir accepté cet inconfort, contrepartie de l’intérêt soutenu que vous avez porté à nos travaux. Merci à tous les intervenants en séance plénière, remarquables par la densité, la clarté et la concision de leur propos – trois qualités difficiles à réunir. Merci aux grands témoins et aux animateurs de carrefours qui ont permis d’approfondir les débats entre nous. Merci à toutes les équipes des Semaines Sociales et du PACI qui, autour de notre délégué général, François DESOUCHES, ont réussi une organisation sans faille.

Je serai bref sur les conclusions personnelles que je tire de cette session, car les interventions de cette dernière journée les reflètent largement, mieux que je ne pourrais le faire moi-même. Toutefois, je mettrai l’accent sur quelques points saillants (vous retrouverez la totalité des interventions et une synthèse plus copieuse dans l’ouvrage que les Editions Bayard publieront au début de l’année prochaine). Ces points saillants? je les rassemble autour des trois missions qui me semblent être les nôtres dans la société d’aujourd’hui : une mission de vigilance, une mission de globalisation et une mission d’expérimentation.

Vigilance

Les chrétiens doivent se sentir investis d’une mission critique dans une société où les forces de contestation ont perdu de leur crédibilité, ou bien se dispersent dans des actions bruyantes mais ponctuelles. Les opinions publiques sont souvent versatiles et distraites, sensibles aux modes et aux émotions. C’est ainsi que les transformations du travail ont été assimilées à sa fin. Et que le recul du chômage passe pour sa résorption totale. Or nous ne vivons, ni la fin du travail, ni la fin du chômage.

Le travail est la trame de toute vie économique et une composante essentielle – ce qui ne veut pas dire exclusive – de la destinée des êtres humains. Il change avec les techniques et il évolue avec les mentalités. Aujourd’hui, il s’éloigne de la matière et de la machine, se déchargeant partiellement de la fatigue physique mais courant le risque d’une plus grande pression morale. La réduction de la durée du travail sur l’année – mais son allongement probable sur la vie – naguère justifiée par la reconstitution de la force physique du travailleur, le sera demain par l’entretien de son potentiel mental.

En ce qui concerne le chômage, comment affirmer qu’il est en voie de disparition quand il frappe encore plus de 9 % de la population en France ? Le risque est réel, au fur et à mesure qu’il diminuera, de voir l’opinion et les forces politiques se détourner du sort de ceux qu’il continue de frapper. Quand la misère devient minoritaire, il arrive qu’on l’oublie. A nous d’en rappeler l’existence. De même, à nous de veiller à la mise en œuvre de la nouvelle charte minimum des droits des travailleurs car pour la plus grande partie de l’humanité, la liberté syndicale et l’interdiction du travail forcé et du travail des enfants restent des progrès à venir.

Globalisation

J’entends par là, non pas les effets de la mondialisation de l’économie – encore qu’il y aurait beaucoup à dire sur le sujet car, là aussi, les caricatures font recette – mais la nécessité pour des chrétiens de toujours replacer les phénomènes sociaux dans la globalité de la personne humaine. Le travail est constitutif de celle-ci parce que Dieu nous a fait à son image et qu’il est lui-même travail et repos. Notre vocation est donc d’avoir une vie tissée de temps pour l’action et de temps pour la contemplation. Dans cette conception de l’homme et de la femme, le travail ne se confond pas avec l’emploi rémunéré. Il englobe toutes les actions par lesquelles nous transformons notre environnement. La mère et le père de famille travaillent à la maison ; l’enfant travaille à l’école ; le bricoleur travaille dans son jardin ; le militant dans son organisation. Toutes ces actions méritent attention et reconnaissance.

Quant au repos, il n’est ni paresse, ni oisiveté. Il peut être détente, loisir ou prière. Le critère est toujours le même : qu’est-ce qui contribue à la construction de la personne ? Le travail professionnel, à lui seul, ne peut suffire à cette construction. C’est en cela qu’il est bon de le relativiser, de ne pas en faire une idole, ni un critère de discrimination entre les êtres humains. On peut être un exemple d’humanité, sans occuper le sommet de la hiérarchie dans une entreprise, sans régner sur une administration, sans gagner cinquante fois le SMIC (ça existe et pas seulement chez les footballeurs). Simplement par la sagesse du jugement, la qualité de la relation, l’attention aux autres. Nous connaissons tous des personnes qui vivent au foyer, et même des chômeurs, qui possèdent ces caractéristiques. C’est l’un des principaux vices de notre société que de ne reconnaître qu’une seule échelle de valeurs, celle de la  » réussite  » professionnelle. La réussite ce n’est ni la richesse, ni la compétence. C’est une certaine densité d’humanité.

Expérimentation

Puisque le travail change, il faut changer les conditions dans lesquelles il est organisé. Puisque la menace qui pèse sur notre société n’est plus seulement l’exploitation du travailleur mais aussi sa marginalisation, il nous faut expérimenter de nouvelles structures juridiques et sociales pour conjurer ces risques.

De nombreuses suggestions ont été faites, à ce sujet, au cours des trois journées que nous venons de vivre ensemble, singulièrement aujourd’hui. Je n’en dresserai pas le catalogue. Mais beaucoup d’entre elles me semblent pouvoir être rassemblées autour d’une idée simple : nous avons à construire un « statut du travailleur ». Il ne suffit plus de ne pas laisser dissoudre le droit du travail dans le droit commercial (menace réelle dans une économie de marché non régulée), ce qui reviendrait à refaire du travail au XXIe siècle, ce qu’il était au XIXe : une marchandise. Il faut aller plus loin.

En quoi consisterait ce « statut du travailleur » ? En un ensemble de droits et de devoirs, juridiquement organisés. Droits à la formation, au revenu, à la protection sociale, quelles que soient les formes d’activité exercées et même entre deux emplois. Devoir d’entretenir ses aptitudes au travail et de rechercher un emploi. De telle sorte qu’on finira peut-être par effacer le concept même du chômage, pour lui substituer celui de travailleur en transition ou de travailleur en restructuration. Tant il est vrai, comme il a été dit ici, que personne n’est durablement inapte au travail.

Voilà quelques repères que je tire des très riches échanges que nous avons eus ensemble pour faire en sorte que le travail et la vie se marient plus étroitement.

Avant de vous quitter et au moment où s’achève mon mandat de Président des Semaines Sociales de France, je voudrais vous confier ceci. Voilà vingt ans, cette institution a failli disparaître. Au milieu des années 80, elle renaît grâce à Jean Gélamur et son équipe. Depuis six ans, elle a retrouvé son rythme des sessions annuelles et son public. Après l’étape de la reprise et celle du développement, voici une nouvelle étape qui commence, celle du renouvellement avec la conquête de la jeunesse, des régions et de la dimension européenne. C’est une joie pour moi et c’est une chance pour nous tous, que Michel Camdessus ait accepté de prendre le relais en ce moment très important de notre histoire. C’est un militant et c’est un actif qui a été confronté à quelques-uns des problèmes les plus importants et les plus difficiles de notre époque. Il a livré des batailles. Il en a gagné. Pas toutes. Il a pris des coups. Il a tiré des leçons. Je serai avec lui, autant qu’il le voudra et je vous retrouverai donc, dans vos rangs, l’an prochain, pour une session qui s’annonce particulièrement grave et d’actualité sur le thème  » Biologie, médecine et société « . Rendez-vous au prochain millénaire puisque, selon l’arithmétique, il commence dans six semaines.

Télécharger le pdf

Les plus récents

Voir plus