Dossier Rencontres anuelles

Individu, Communauté, Société

Conférence donnée au cours de la session 2008 des Semaines Sociales de France, « Les religions, menace ou espoir pour nos sociétés ? »

Séance présidée par Bernard Lecomte, membre du conseil des Semaines Sociales de France

JEAN-PAUL WILLAIME, sociologue des religions, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, section des sciences religieuses (Sorbonne), président du conseil d’administration de la revue Réforme, directeur de l’Institut Européen en Sciences des Religions.

Lorsque, comme c’est le cas actuellement, l’on vit une époque de profonds changements, cela peut engendrer un malaise dû à une difficulté à comprendre la situation, à identifier les problèmes, à imaginer des solutions. Chez certains, cela peut même aller jusqu’à une perte de repères. L’ampleur des défis et leur complexité, le fait que les experts eux-mêmes soient souvent en désaccord, sont une occasion propice pour les démagogues de tout poil venant vanter des solutions-miracles.

Les Églises et les religions, quant à elles, sont dans une situation paradoxale. D’un côté, elles sont socialement moins puissantes et les jeunes générations contestent volontiers leurs prétentions normatives et leurs régulations, tout en expérimentant, pour certains d’entre eux, des expériences spirituelles alternatives, hors institutions et traditions. Les appartenances et les pratiques religieuses des Européens ont incontestablement décliné des années 1950 à nos jours et les institutions religieuses – au premier rang desquelles les Églises chrétiennes – ont perdu une grande partie de leur pouvoir sur la société et sur les fidèles mêmes qu’elles prétendent encadrer. C’est ce que l’on désigne en parlant de privatisation et d’individualisation du religieux. Mais la religion est-elle pour autant devenue un phénomène individuel et privé qui n’intéresserait plus la vie collective, en particulier la vie politique ? L’actualité montre le contraire et le paradoxe en Europe est que, malgré une incontestable sécularisation des populations et des institutions, la religion est revenue en force dans le débat social et se trouve au cœur de préoccupations publiques, tant dans les sociétés nationales qu’à l’échelle de la construction européenne elle-même.

L’exposé que je vous présente repose sur l’idée que nous vivons aujourd’hui une mutation globale qui touche tous les domaines : l’économique, le politique, le culturel, l’éducatif, le religieux, et que cette mutation globale a des conséquences sur les relations entre ces différentes sphères d’activité et sur les relations individu, communauté, société. Toutes sortes de frontières sont questionnées : frontières nationales bien sûr, mais aussi frontières linguistiques, culturelles, religieuses, les façons de différencier les sexes, l’adulte et l’enfant, l’homme et les autres organismes vivants, le public et le privé (publicisation de l’intime et privatisation du public), la vie et la mort, la façon même de concevoir l’humanité de l’homme.

Cette mutation globale, je l’analyse comme une radicalisation de la sécularisation, une radicalisation qui, paradoxalement, entraîne un retour du religieux dans la sphère publique. Il ne s’agit pas d’une remise en cause de la laïcité, de l’autonomie respective du politique et du religieux, mais d’une reconfiguration globale liée aux défis considérables de notre époque. Dans cette conjoncture, la caractéristique majeure n’est pas la lutte entre un magistère religieux et un magistère politique, mais un ébranlement de tous les magistères, les séculiers comme les religieux, qui entraîne une nouvelle articulation du religieux et du politique dans la recherche du bien commun. Avant de voir ce que tout cela implique dans la façon de concevoir Églises et religions dans l’espace public, permettez-moi de poser tout d’abord quelques définitions pour bien clarifier les enjeux, les débats et l’analyse des mutations actuelles….

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