Dossier Rencontres anuelles

L’universel à l’épreuve du pluralisme

Par Enzo Bianchi et Agnès von Kirchbach

Conférence donnée au cours de la session 2008 des Semaines Sociales

de France, « Les religions, menace ou espoir pour nos sociétés ? »

Séance présidée par Bernard Ibal, vice-président des Semaines sociales de France

Enzo Bianchi, fondateur et prieur de la communauté de Bose (Italie), qui rassemble des moines et moniales des diverses confessions chrétiennes.

Agnès Von Kirchbach, pasteur de l’Église Réformée de France.

ENZO BIANCHI :

Selon la Bible, le premier homicide a eu lieu près d’un autel et après un sacrifice offert à Dieu. Il suffit, pour s’en convaincre, de revenir au livre de la Genèse et au récit de Caïn et Abel (voir Gn 4,3-8). Et il est incontestable que les religions, au cours de l’histoire, sont devenues des motifs de violences et de guerres. Cela est vrai en particulier des monothéismes, notamment en raison de leur prétention à l’universalisme. Or, dans le christianisme, pour me limiter à mon propre milieu religieux, le pluralisme est attesté dès les écrits fondateurs. L’Église a en effet reconnu comme canoniques quatre évangiles et non un seul, et le Nouveau Testament lui-même est un témoignage pluriel rendu au « seul Seigneur, Jésus Christ » (1Co 8,6). Les Écritures nous l’enseignent donc : l’unique Dieu ne peut être dit que dans la pluralité des expressions.

À la lumière de ces réalités, je voudrais relire maintenant le rapport entre universalisme et pluralisme, en offrant quelques pistes de réflexion pour penser la présence de la religion – je me limiterai ici au christianisme, auquel j’appartiens – dans le contexte de nos sociétés laïques.

Un besoin universel de l’autre

Je dirais tout d’abord que la communion plurielle qui découle de la révélation biblique, comme on vient de le voir, devrait aider à repenser l’universalisme, cette tendance qui a suscité tant d’attitudes de violence et de persécution dans l’histoire. Pour que l’universalisme ne dégénère pas jusqu’à devenir totalitaire, ce dernier doit dès lors être pensé avant tout comme un « besoin universel de l’autre » et compris comme une vocation à l’exil, à la diaspora, à la dispersion parmi tous les peuples : car la foi ne peut coïncider avec une culture, une ethnie ou un système de pensée déterminés. L’Évangile ne peut pas se réduire à une seule forme culturelle !

Par ailleurs, l’absolutisation de la vérité, l’idée d’être dépositaire et propriétaire de la « Vérité », comprise comme universelle, a causé nombre de violences et d’oppressions au nom de Dieu. Or la vérité ne saurait être en notre possession ; tout au plus pouvons-nous en être possédés. Dans le christianisme, les intolérances au nom de la vérité sont issues d’un glissement progressif d’une conception biblique de la vérité – selon laquelle elle est la personne du Christ, qui excède toujours l’Église et exige d’elle la conversion – à une conception doctrinale et dogmatique de la vérité, dont l’Église pourrait s’ériger en maîtresse. On court alors le risque, dénoncé déjà par Pascal, de « faire une idole de la vérité même ; car la vérité hors de la charité n’est pas Dieu » (Pensées 597).

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