Dossier Rencontres anuelles

Grand témoin – La police contre la violence

Par André Mahé

Conférence donnée au cours de la session 2002 des Semaines Sociales de France,  » La violence, Comment vivre ensemble ? »

ANDRÉ MAHÉ, président cofondateur de « Police et Humanisme ».

Je vous parle à la fois en témoin d’une profession, celle de policier (j’ai été gardien de la paix à Paris), d’une forme d’engagement dans l’Eglise (j’exerce le ministère de diacre permanent depuis mon ordination par le cardinal Marty en 1976), et en qualité de président co fondateur de l’association « Police et Humanisme ».

La police est certes une fonction publique (La France compte 133 000 fonctionnaires de Police, 78 000 Gendarmes et 13 000 policiers municipaux.), mais c’est aussi une vocation. Cette constatation permet d’élargir la relation du policier à la violence : le policier doit être expert en humanité, car les policiers sont parmi les premiers sur le terrain de la misère, ils sont véritablement les gardiens de la paix (de l’ordre social, de la paix sociale).

Si l’action des policiers correspond à la lutte contre toutes ces violences, des ambiguïtés se font jour aussi bien dans la manière d’utiliser la violence dans leur travail que dans leur exposition à la violence et leur rapport avec les causes profondes de la violence et le monde de l’argent roi.

Ce sont ces aspects, ainsi que la difficulté de l’exposition du policier à la violence, que je voudrais illustrer.

A l’origine du métier de policier se trouve le monopole de la violence détenu par l’État. Selon Max Weber :  » L’État est la communauté humaine qui revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime… [et qui] passe donc pour l’unique source du droit à la violence. L’État, pour exercer sa mission de sécurité intérieure, dispose de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Oui, la police participe directement à la mise en œuvre de cette violence légitime. Tel est le point de départ d’une déontologie consistant pour le policier à user de cette violence de la façon la plus appropriée et juste :

* application de la seule légitime défense, à laquelle tous les policiers sont formés,

* usage de la force strictement nécessaire : gestes techniques professionnels,

* mise en place de stratégies lors des interpellations (choix du moment, rapidité) pour qu’elles se déroulent sans incident ou  » émeute de solidarité « ,

* dans tous les cas, veiller au respect des personnes quelle que soit leur origine, leur statut social.

Cela dit, dans un comportement professionnel, il ne s’agit pas seulement de respecter l’autre, mais aussi de se faire respecter.

Derrière ces pratiques se trouvent une exigence et une éthique : la violence peut engendrer la violence, elle n’est pas un mode normal de dialogue. L’usage de la force doit donc être une solution de dernier recours. En particulier, l’attitude de fermeté n’exclut pas pour autant une ouverture au dialogue. D’ailleurs, toute la société n’est pas violente ; avant d’avoir recours à la violence, le policier se doit donc d’être un professionnel dans son domaine: savoir écouter, dialoguer, essayer de comprendre. La discussion peut contribuer à dégonfler les situations conflictuelles.

Par ailleurs, rappelons que si elle est en première ligne face aux multiples formes de la violence, la police ne peut ignorer que sa mission fondamentale est la préservation de la paix publique. Ce même policier appelé à faire usage de la violence est également celui qui en d’autres circonstances va être amené à participer à la prévention (les fonctionnaires de base s’appellent des gardiens de la paix – tout un programme) et à porter assistance aux personnes en détresse et aux victimes de violence.

En 2001, police nationale et gendarmerie ont constaté 4 061 792 crimes et délits, soit une augmentation de 40% en 20 ans.

Les infractions sont réparties en quatre catégories :

* les crimes et délits contre les personnes au nombre de 279 610 (dont 1046 homicides, 124 tentatives d’homicides et 116 568 coups et blessures volontaires),

* les vols au nombre de 2 337 374, parmi lesquels 45 % sont liés à l’automobile, comportent 9 363 vols à main armée et 416 297 cambriolages (17 % du total) et rassemblent les deux tiers des faits constatés,

* les infractions économiques et financières : 366 208 faits constatés ,

* parmi les 893 628 autres infractions, se trouvent celles liées aux stupéfiants (91 618 faits constatés).

De ces données officielles, il ressort que le taux d’élucidation, s’il atteint 75,43% pour les homicides, ne s’élève qu’à 10,47% des vols (et même 8 %des cambriolages) alors que 835 839 individus, dont 21 % de mineurs, ont été mis en cause. « Que fait la police ? », se demandent souvent les victimes.

Adoptée en août 2002, la loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure rappelle que  » la sécurité est un droit fondamental, l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives « . Selon ce texte, deux tendances se dégagent de l’ensemble des crimes et délits constatés : l’une est quantitative et concerne l’augmentation de la délinquance, l’autre est qualitative et montre l’importance prise par les violences contre les personnes, des violences pas seulement liées à la classique délinquance d’appropriation, mais qui prennent de plus en plus la forme de violences gratuites, voire de violences d’humiliation. Cette situation qui frappe particulièrement les personnes les plus faibles porte atteinte aux principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Elle constitue une menace pour la cohésion nationale.

Quant aux  » violences urbaines « , ce terme générique concerne ces formes de petite et moyenne délinquance, d’une gravité très variable, mais qui sont à resituer dans un contexte. Elles illustrent le climat quotidien, et constituent des phénomènes précurseurs de graves troubles à l’ordre public, une dégradation du tissu social à venir.

En s’interrogeant sur les fondements de cette violence délinquante, une première constatation s’impose : dans sa fonction et dans sa vocation, la société est aujourd’hui aux mains de l’argent. Or, l’argent fait naître la violence. Les exemples nous sont connus : contrôle des ressources pétrolières, spéculation boursière, drogue, prostitution, pornographie, couples s’échangeant leurs enfants dans un but sexuel, marchandisation du sport et de la télévision, coûts des médicaments, automobile, tourisme sexuel, publicité ( » Aimez l’argent, il vous le rendra « , disait une campagne il y a quelques années), emploi des sans papiers privés de couverture sociale…

Les difficultés de la vie contemporaine, de l’augmentation de la délinquance sont également souvent expliquées par la  » perte des valeurs  » . Ce discours, le policier l’entend autour de lui, le pratique également. Comment considérer ce postulat de la perte des valeurs ? N’est-ce pas être exagérément pessimiste, manquer de confiance, que de constater seulement une perte sans rechercher l’évolution, dans ce qui peut être positif pour aujourd’hui, aider à construire demain ? Les valeurs tout d’abord ne doivent pas être réduites au seul sens du devoir, une évolution peut s’observer vers des valeurs de plus en plus relationnelles.

A l’inverse, il est courant de nos jours d’invoquer la défense des Droits de l’Homme dès que l’ombre d’une mesure de régulation sociale se profile. Prenons garde à ce qu’à trop utiliser cette notion fondamentale, et au respect de laquelle nous sommes tous attachés, on ne finisse par en perdre le sens. Dans certains discours ne sont d’ailleurs généralement pris en compte que les Droits de l’Homme au sens de  » défense  » de l’individu isolé mais on risque de perdre de vue une part importante : celle du droit collectif et naturel à vivre ensemble en paix et en sécurité. Ce droit vise tout spécialement les populations modestes, celle de nos grands ensembles urbains qui sont les plus touchées par les atteintes souvent banalisées et mal réprimées à ce droit social et collectif.

Il faut maintenant établir une distinction entre le policier et la police en tant que communauté. En protégeant l’ordre établi par l’argent, le policier ne se rendrait-il pas finalement complice de la violence ? On en vient à ce paradoxe : la police qui intervient contre la violence n’aboutit qu’à relancer la violence. La répression policière n’est plus perçue dans ce contexte que comme une violence.

Les policiers sont en effet confrontés à la pathologie de la violence. Tout peut être mensonge. Le policier est-il uniquement chargé de protéger le monde de l’argent contre les violences qu’il engendre ?

A l’inverse, le policier, tirant les leçons de son expérience, peut et doit s’exprimer sur la violence, dire comment il la ressent et s’exprimer sur les évolutions qu’il constate quant aux auteurs et modes opératoires.

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