Dossier Rencontres anuelles

La violence et les jeunes

Par Jean-Marie Petitclerc

Conférence donnée au cours de la session 2002 des Semaines Sociales de France, »La violence, Comment vivre ensemble ? »

Séance présidée par Dominique Quinio, directrice adjointe du journal La Croix, membre du conseil des Semaines Sociales de France.

JEAN-MARIE PETITCLERC, prêtre salésien, éducateur spécialisé.

Introduction

Nous sommes tous aujourd’hui stupéfaits, voire inquiets, par la montée des comportements marqués par la violence que nous observons chez les enfants et les adolescents de ce temps. Et de tels phénomènes, visibles hier dans certains quartiers qualifiés de sensibles, ont tendance aujourd’hui à se généraliser sur l’ensemble du territoire.

Nous avons parfois tendance à qualifier les jeunes d’acteurs, voire de facteurs d’une telle montée de violence. Il est vrai que nous assistons depuis une dizaine d’années à une véritable explosion de la délinquance juvénile. Tous les acteurs de terrain le confirment, même si l’interprétation des chiffres officiels peut prêter à polémique. N’oublions pas cependant que de tels chiffres sous-estiment l’ampleur de la réalité, car ils ne représentent que les crimes et délits ayant donné lieu à dépôt de plainte ou ayant été constatés sur la voie publique. Il s’agit de ce que nous pouvons qualifier de délinquance  » apparente « , de moindre ampleur que la délinquance réelle, en raison de la difficulté d’un nombre important de victimes à porter plainte, soit par peur de représailles, soit par conviction de l’inefficacité des services de police et de gendarmerie à pouvoir retrouver les auteurs.

La part des jeunes est importante dans la délinquance observée, puisque la tranche d’âge des 13/18 ans, qui représente environ 8 % de la population française, rassemble plus de 20 % des jeunes mis en cause. Et, autre réalité à prendre en compte, 60 % des délits commis par les mineurs appartiennent au registre de la délinquance dite de proximité, et c’est celle-ci qui est la plus génératrice du sentiment d’insécurité 1.

On le voit, les jeunes sont actifs dans la délinquance, et l’on observe à la fois un rajeunissement de l’âge des acteurs, et une augmentation des faits commis avec violence.

Mais ne cédons pas à la pression médiatique qui a parfois tendance à regarder les jeunes sous l’angle de la menace. Car, ne l’oublions jamais, les jeunes sont aussi les premières victimes de cette violence. 80 % des actes de violence commis par les jeunes ont pour cible d’autres jeunes. Autrement dit, les jeunes sont quatre fois plus exposés que les adultes à la violence des jeunes.

Ces phénomènes de violence peuvent s’observer avec plusieurs angles de vue : celui du juriste, du médecin, du psychologue, du sociologue, du politique. Permettez au salésien de Don Bosco que je suis de développer le point de vue d’un éducateur, puisque voici plus de vingt ans aujourd’hui que je pratique ce métier, auprès d’adolescents majoritairement domiciliés dans les quartiers que l’on qualifie de sensibles. Après avoir travaillé cinq années comme éducateur de rue à Chanteloup-les-Vignes, et neuf années à la direction d’un foyer d’action éducative habilité par le ministère de la justice, je dirige aujourd’hui à Argenteuil l’association Le Valdocco, fondée en 1995 par un collectif d’habitants. Cette association gère un service de prévention qui intervient auprès des enfants et adolescents en difficulté du quartier du Val d’Argent Nord, connu sous le nom de  » Dalle « .

La plus grande difficulté de ces jeunes, qu’avec l’équipe éducative je côtoie au quotidien, réside dans le fait qu’ils circulent tous les jours dans trois lieux, porteurs d’une culture différente : la famille, qui reste marquée par les traditions du pays d’origine ; l’école, inscrite dans la tradition républicaine ; la rue, elle aussi porteuse de valeurs (je citerai en premier lieu un certain sens de l’honneur) et de codes de communication, dans le registre du langage et de la violence. Et la différence entre un jeune inséré et un jeune en voie de marginalisation peut se mesurer à l’aune du temps passé dans la rue. Pour le premier, celle-ci est un lieu de circulation ; pour le second, un lieu de stagnation, de résidence. Il y passe beaucoup de temps et se laisse imprégner par ses valeurs. Dans chacun de ces lieux, des adultes sont, qu’on le veuille ou non, porteurs de repères pour les plus jeunes : les parents en famille, les enseignants à l’école, les aînés dans la rue (on sait le poids de l’influence des plus grands sur les adolescents). Et chacune de ces catégories d’adultes, qui fait référence pour l’enfant, passe le plus clair de son temps à discréditer les deux autres. Les enseignants parlent de parents démissionnaires et des voyous de la rue ! Les parents disent : “ Les enseignants ne savent plus faire leur travail correctement : ils se disent professionnels de l’éducation, et ne sont même plus capables d’assurer la discipline ! C’est la faute aux mauvaises influences de la rue. ” Et les aînés de dire : “ De toute façon, que tu travailles ou non, tu es dans un collège sans avenir (et il est vrai que le fossé s’est creusé entre les collèges de Zone d’Education Prioritaire et ceux du centre ville), et tu sais, tes vieux sont d’une autre génération, ils ne comprennent plus rien à rien !” On comprend alors, dans un contexte marqué par une telle incohérence, combien la transmission des repères, des limites est difficile pour la jeune génération.

Aussi, au Valdocco, tentons-nous de mettre en place une approche globale de l’enfant et de l’adolescent, en le rejoignant dans chacun de ces trois champs :

* celui de la rue, grâce aux actions d’animation de rue, menées par l’équipe éducative sur les places auprès des enfants ne fréquentant pas les structures du quartier, et le travail de rue mené auprès des adolescents qui squattent les cages d’escalier, dans le cadre d’un agrément de prévention spécialisée ;

* celui de l’école, par le service d’accompagnement éducatif et scolaire, qui assure soutien dans la scolarité, et médiation famille / école ;

* celui de la famille, l’association étant agréée dans le dispositif  » Réseau d’Ecoute, d’Appui et d’Accompagnement des Parents « . Nous animons des groupes de parole de parents, souvent débordés par le comportement de leurs enfants et de leurs adolescents, et leur permettons d’échanger et de s’interroger sur la pertinence de leurs réponses. Nous gérons également un service de médiation familiale.

Le maître-mot de l’action éducative menée est celui de médiation : créer des liens entre les différents adultes qui cheminent auprès de l’enfant. Voilà pourquoi l’association “Le Valdocco” a également créé un institut de formation à la médiation (l’IFMV, Institut de Formation aux Métiers de la Ville), qui mène des actions auprès des jeunes de la région Ile de France, issus des quartiers sensibles, et exerçant la fonction d’agent local de médiation sociale, et auprès de salariés du monde de l’enseignement, du travail social et de l’entreprise, confrontés à des problèmes de violence chez les jeunes accueillis.

Notons enfin que je travaille depuis 1992 comme chargé de mission au Conseil Général des Yvelines, sur les problèmes de prévention sur les sites sensibles de ce département.

Les propos que je vais tenir sur la violence s’appuient sur cette pratique quotidienne de mon métier d’éducateur spécialisé. Je commencerai par réfléchir sur les principaux facteurs permettant de rendre compte d’une telle évolution, puis je m’interrogerai sur la signification de ces comportements marqués par la violence, non pas dans le but de théoriser, mais afin d’ouvrir quelques pistes pour une meilleure prévention et une meilleure régulation de ce phénomène.

* Pour une analyse plus détaillée de ces chiffres, cf. Les nouvelles délinquances des jeunes chez Dunod ( 2001 ), chap . 2 : une explosion de la délinquance juvénile, approche quantitative

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