Dossier Rencontres anuelles

Les faits marquants du vendredi après-midi- session 2002

Synthèse du vendredi après-midi de la session 2002 des Semaines Sociales de France, « La violence, comment vivre ensemble ? ».

Les conférences données dans l’après-midi ont permis à l’assistance de poursuivre le panorama des violences d’aujourd’hui, grâce à des intervenants à la fois « acteurs et observateurs », comme l’a souligné Dominique Quinio, rédactrice en chef adjoint à La Croix et présidente de la session. Dans la continuité du programme du matin, il s’agissait de se pencher sur la violence qui nous entoure, violence proche, comme celle de nos cités ou plus éloignée, comme la violence qui domine la scène internationale.

C’est le père Jean-Marie Petitclerc qui à ouvert la session. Fort de son expérience d’éducateur spécialisé depuis plus de vingt ans, le prêtre salésien intervenait sur le thème « la violence et les jeunes ». Alors que l’on parle si souvent de la violence des jeunes, le père Petitclerc a immédiatement souligné que les jeunes ne sont pas d’abord un problème mais plutôt une chance. Héritier de Don Bosco, polytechnicien de formation et éducateur de vocation, Jean-Marie Petitclerc se situe bien du côté de l’éducation. A Chanteloup les Vignes ou à Argenteuil, dans son association Valdocco, il s’interroge sur les moyens de prévenir la montée de la violence et les façons de réguler notre vivre ensemble, afin de «faire des adultes qui croient en eux».

Le prêtre fait son allocution debout, penché vers son auditoire. Avec 1800 personnes réparties en plusieurs salles, le succès des Semaines sociales ne se dément pas : pour l’an prochain, l’organisation a prévu une salle encore plus grande. Jean-Marie Petitclerc n’aura aucun mal à la tenir éveillée, malgré une intervention à « l’heure de la digestion », comme il se plaît à souligner.

Les phénomènes de violence chez les jeunes et même les enfants ne cessent pas d’inquiéter, c’est un fait, d’autant que l’ampleur du phénomène est sans aucun doute plus alarmante que les chiffres ne le laissent appréhender. On désigne souvent les jeunes comme des facteurs et des acteurs de ce phénomène de violence. Le doublement des actes de délinquance en 10 ans et le fait qu’ils soient de plus en plus violents et commis par des individus de plus en plus jeunes ne doit pas faire oublier que les jeunes sont eux-mêmes les plus sujets à la violence. « Quatre fois plus qu’un adulte », rappelle Jean-Marie Petitclerc.

Pour comprendre la violence, insiste-t-il, il faut percevoir qu’un jeune passe tous les jours par trois lieux : la famille, l’école, la rue. Chacun de ces lieux est tenu par des adultes qui font référence, et qui ne cessent de se discréditer les uns les autres. A l’association Valdocco, Jean-Marie Petitclerc et son équipe tentent de développer une approche globale de l’enfant autour de ces trois pôles, avec un espace de médiation familiale, du soutien scolaire et des animations de rue, car il est important de reconstruire une cohérence entre les adultes qui accompagnent l’enfant sur le chemin de l’éducation.

La violence des jeunes et la violence entre jeunes n’est pourtant pas un fait nouveau rappelle le prêtre, faisant par exemple référence à la Guerre des boutons, mais ce qui paraît plus inquiétant, c’est l’absence de repères et la perte de crédit des adultes comme régulateur de la violence. « Car la violence des enfants et des adolescents c’est d’abord un problème d’adultes, explique Jean-Marie Petitclerc. Il revient toujours à l’adulte d’apprendre à l’enfant à maîtriser son agressivité naturelle. » Spontanément, des applaudissements éclatent dans la salle.

La difficulté d’aujourd’hui ne tient peut-être pas tant à un problème d’autorité qu’à la question de la perte de crédibilité des porteurs de l’autorité. Une perte de crédibilité qui touche les trois pôles de l’éducation, parents dans la famille, professeurs à l’école, aînés dans la rue. D’ailleurs les parents qu’on accuse d’être démissionnaires sont avant tout des parents impuissants, qui souffrent. D’autres ont peur d’entrer en conflit, de dire non, comme le soulignait le matin même Michèle Cautelin. Les enseignants de leur côté ne sont pas formés pour apprendre aux jeunes à vivre ensemble, tandis qu’on observe dans la rue une difficulté des rapports à la loi. La crise du processus d’apprentissage de vivre ensemble trouve là ses racines. Autre source de violence, la difficulté qu’ont les jeunes à se projeter dans l’avenir. Peur de la pollution, du chômage, du terrorisme… Ces angoisses sont en partie responsables de notre société de l’instantané et du tout, tout de suite, générateur de déviance.

Mais Jean-Marie Petitclerc refuse de s’arrêter sur les seules causes de la violence. « Ce discours généreux est pédagogiquement désastreux car il conduit à une déresponsabilisation de l’acteur, et il n’y a plus de limite à la violence. » Il s’agit donc de reconnaître les significations du recours à la violence sous ses différentes formes et d’y apporter les réponses appropriées.

La violence peut d’abord apparaître comme un mode d’expression. L’adolescent angoissé sur son avenir et incapable d’exprimer ses émotions y a souvent recours. Il faut alors développer le dialogue. Lorsqu’une vague de violence embrase un quartier à la suite d’une bavure policière par exemple, il faut avant tout développer un discours de compassion. La violence peut également être une provocation, un moyen de s’affirmer face à l’adulte pour le faire réagir tout en s’affranchissant de son influence. Il convient alors de réagir, mais dans un autre registre que la violence et de s’en distancier. Enfin la violence peut être perçue comme un mode d’action, un moyen d’obtenir quelque chose que l’on n’obtiendrait pas par la négociation. Il faut évidemment interdire avec force cette violence, la sanctionner, sans quoi la vie en démocratie n’est plus possible.

Dans la vie de tous les jours, ces formes de violence sont souvent mêlées et il faut conjuguer les réponses afin de sortir du dualisme politique prévention/répression. « Il faut bien sûr d’abord savoir prévenir la violence, mais aussi réagir à la transgression et la sanctionner », affirme le père Petitclerc. Pour cela, il est essentiel de se pencher sur le regard du groupe, sur celui qu’il porte sur la vie et la vie de l’autre, comme quelque chose de sacré. « Je veux insister sur la dimension spirituelle du combat que nous avons tous à mener contre la violence », conclut Jean-Marie Petitclerc.

Dominique Quinio a bien du mal à faire taire les applaudissements de la salle. Le père Petitclerc se prête avec le même enthousiasme à l’exercice des questions, rassemblées par Elisabeth Marshall-Hannart, rédactrice en chef à la revue Prier, et Luc Ziegler, secrétaire général de l’Université Technologique de Compiègne. Les nombreuses questions qui leur parviennent font état des interrogations des adultes face à la violence chez les plus jeunes. Jean-Marie Petitclerc puise parfois dans l’Evangile pour y répondre. « Il n’y a pas d’amour sans loi, mais il faut appliquer la loi avec amour », rappelle-t-il, insistant, sur le bénéfice d’une sanction appliquée dès la première infraction, mais en dehors du mode répressif.

Pause

François Heisbourg qui prend la parole à sa suite, après une pause, renoue avec l’étude de la violence d’aujourd’hui mais dans son cadre international. Brillant énarque, passé du Quai d’Orsay à la Défense et à des entreprises privées, il est entre autres Directeur général de la Fondation pour la recherche stratégique. Impressionnée par la « foule immense » et attentive, François Heisbourg s’attelle à tâche difficile : « le tour du monde en 45 minutes ! » Un monde passé d’une époque où le maniement de la violence armée était largement le monopole des Etats, et à l’extrême des Etats totalitaires, à une époque où de nombreux groupes non étatiques peuvent utiliser la violence extrême. On arrive au point où ils peuvent aussi utiliser un terrorisme de destruction massive, ce que l’expert nomme, comme son dernier ouvrage aux éditions Odile Jacob, « l’hyperterrorisme ».

Comment cette évolution a-t-elle été possible ? Il y a tout d’abord eu une évolution des acteurs de la violence. Au XIXe et dans la première partie du XXe siècle, des Etats hypertrophiés exerçaient leurs compétences régaliennes, sociales, économiques. Puis, certains Etats sont devenus des sources d’insécurité pour leurs propres citoyens. La négation massive de cette source essentielle de légitimité, la sécurité du citoyen, est une des principales raisons de l’érosion de l’Etat comme acteur du système international. Cette situation, estime François Heisbourg pourrait bien nous mener à une nouvelle Guerre de 30 ans.

On assiste donc à une érosion des capacités régaliennes de l’Etat, à l’émergence d’armées privées comme en Afrique et à l’externalisation de certaines fonctions militaires dans nos sociétés. Cela laisse une place certaine aux acteurs non étatiques dans le maniement de la violence. Toutefois le terrorisme, y compris le terrorisme transfrontière, n’est pas un fait nouveau, puisqu’il jalonne l’histoire depuis l’antiquité romaine.

Ce qui est nouveau, apparu dans les années 1990, c’est le terrorisme de destruction de masse. Et pour la première fois depuis le 11 septembre 2001, il y a une convergence entre la volonté et les moyens de destruction de masse. Auparavant, l’attentat le plus meurtrier avait fait 329 morts en 1985, quand des terroristes sikhs avait fait exploser un avion d’Air India. Le 11 septembre, le nombre de victimes est multiplié par dix, sur un lieu abritant 60 000 employés. « Aujourd’hui que cette convergence est accomplie, nous allons vivre dans son ombre », prévient François Heisbourg. Elle est devenue une donnée permanente de notre société moderne.

Les objectifs des acteurs de la violence ont eux aussi changé. Alors qu’auparavant ils étaient à vocation essentiellement politique, on a glissé aujourd’hui vers des dynamiques plus sectaires, messianiques. La violence devient un moyen d’être, voire une raison d’être, dans ce que François Heisbourg nomme un « choc des métaphysiques plutôt qu’un choc des civilisations ».

Les réponses à apporter à la violence changent donc. Face à la violence d’un groupe non étatique, les stratégies de dissuasion ou de « containment », prisées pendant la Guerre froide n’ont plus cours. Répondre sans travailler avec d’autres Etats ou d’autres groupes non étatiques n’est pas non plus efficace. D’autre part, agir sur les seules soi-disant « causes profondes » du terrorisme – la pauvreté, l’injustice, le conflit israélo-palestinien – ne suffira pas non plus. « Il ne faut pas instrumentaliser les actions en faveur du développement, juge François Heisbourg, mais les accomplir pour elles-mêmes. » Le lien entre pauvreté et terrorisme n’est pas toujours essentiel, comme le montre le cas de la secte Aum au Japon.

Nous avons affaire à un défi qui n’appelle pas une réponse unique simple. Face à la perspective d’une destruction, le premier devoir d’un Etat, c’est bien sûr de l’éviter, et donc de répondre à la violence et à l’hyperterrorisme. Pour cela, il faut à la fois

– de la prévention, c’est-à-dire des renseignements et des mécanismes d’alerte

– de la préemption – frapper avant d’être frappé quand cette attaque et imminente et certaine

– de la répression

– limiter les dégâts autant que possible

– assurer la protection des populations en rapprochant les moyens de défense traditionnels et les dispositifs intérieurs et civils.

Pour conclure, François Heisbourg a appelé son auditoire à s’interroger différemment sur le défi que constitue la violence non étatique, en récusant nos anciens modes de pensée. Mais l’Humanité en a vu d’autres a-t-il rappelé, soulignant son espoir en l’homme. « Face aux menaces bien réelles que nous affrontons, nos sociétés doivent apprendre à s’adapter et elles sauront le faire. » Les questions qui lui furent adressées soulignent les questionnements de l’assemblée face à ces nouveaux conflits. Irak, Tchétchénie, Ben Laden… l’actualité a été à nouveau décortiquée, avant que les participants ne se dirigent vers leurs ateliers.

Carrefours en compagnie d’experts ou dialogues avec de « grands témoins », huit occasions de développer les thèmes abordés tout au long d’une journée riche et d’échanger ses impressions : « passionnant, impressionnant, enthousiasmant » sont les commentaires les plus souvent recueillis. Autour du traditionnel verre de l’amitié, qui a clôt cette première journée vers 19h, les discussions étaient toujours aussi nourries.

Johana Sabroux

Etudiante au Centre de Formation des Journalistes

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