Dossier Rencontres anuelles

Les faits marquants du vendredi matin – session 2002

Synthèse de la journée du vendredi matin de la session 2002 des Semaines Sociales de France, « La violence, comment vivre ensemble ? ».

A l’origine du thème de ces 77ème Semaines sociales de France, un constat. Le XXème siècle fut un siècle violent. Et une interrogation, le XXIème siècle aura-t-il le même visage ? « Avec la violence, on touche au cœur de la réalité sociale nationale et internationale d’aujourd’hui », a déclaré Michel Camdessus, président des Semaines sociales de France, vendredi matin, lors de l’ouverture de la séance.

Après la lecture de la lettre du Vatican, Jean-Claude Guillebaud, écrivain et journaliste, a dressé un brillant état des lieux de la violence. Son intervention s’articulait autour de trois axes : comment évalue-t-on la violence, comment perçoit-on la violence et quelles sont les réponses possibles ?

Evaluer la violence

Les statistiques sont claires. Les actes de violence ne sont pas plus fréquents aujourd’hui. En revanche le traitement du phénomène par les médias contribue à donner l’impression d’un plus grand nombre de violences. Mais la violence a changé de visage. Et cette transformation est à l’origine du sentiment d’insécurité.

A l’échelle internationale, alors que le triomphe des Droits de l’homme permettait d’espérer une paix perpétuelle, la violence de certains conflits a atteint un degré de sauvagerie déroutant. « L’animalité du crime est un phénomène nouveau », dira même Jean-Claude Guillebaud lors du passionnant débat qui a suivi son intervention.

En France, l’augmentation des actes d’incivilité est plus significative que l’augmentation de la violence. Selon Jean-Claude Guillebaud, cette augmentation révèle avant tout une déliquescence du lien social.

La perception de la violence

Pour Jean-Claude Guillebaud, si les attentats du 11 septembre dernier ont plongé le monde dans le désarroi c’est aussi parce qu’ils ont réintroduit la question du mal. Un concept dont on s’était déshabitué.

« Cette question nous assiège et laisse nos représentants relativement démunis », a observé l’essayiste. Ce qui est déroutant face à de tels actes de violence c’est l’énigme du passage à l’acte.

Répondre à la violence

La guerre préventive telle qu’elle est envisagée par l’administration américaine face à l’Irak est une réaction inquiétante. « Comment réfléchir au retour de l’autorité », s’est interrogé Jean-Claude Guillebaud qui a aussitôt souligné le risque d’une organisation pénale de nos sociétés comme remède au sentiment d’insécurité. « Quand une société est inquiète (…) la nécessité de vivre malgré tout ensemble entraîne la répression. La pénalisation devient le seul mode de régulation. »

L’augmentation importante de la population carcérale aux Etats-Unis est très intéressante. Les prisonniers américains étaient 260 000 en 1967. Aujourd’hui ils sont au nombre de deux millions.

Or, « vouloir substituer le droit à toute autre forme de loi sociale est vain ». Au contraire, il conviendrait de repenser ce paradoxe qui consiste à revendiquer à la fois la culture de la transgression et le droit à la sécurité. Un paradoxe qui amène parfois à défendre des arguments étranges : pourquoi interdire la pornographie à la télévision puisqu’elle existe sur Internet ?

Ce type d’argument souvent accompagné « d’une dénonciation grandiloquente » d’un possible retour à l’ordre moral n’est pas acceptable. « Moins il y aura de règles morales, plus il y aura des règles pénales. (…) Dans cette situation, les libertés ont plus à craindre », a affirmé Jean-Claude Guillebaud. C’est donc vers une refondation de l’ordre moral que ce journaliste récompensé du Prix Albert Londres en 1977 propose de s’acheminer.

La règle minimale pour endiguer le phénomène de la violence en société serait un véritable respect de l’autre. Nos sociétés devraient s’attacher à réinstaurer « cette seule véritable limite », a conclu Jean-Claude Guillebaud.

Les applaudissement de l’assistance et le grand nombre de questions adressées à l’auteur du Principe de l’humanité, de La Refondation du monde et de La Tyrannie du plaisir, ont permis de mesurer l’impact de son exposé.

Pause

Michèle Cautelin, psychologue clinicienne à l’ADRETS de Lyon, est intervenue en seconde partie de matinée, vendredi 15 novembre, sur les violences du sujet, de la famille et du social.

Premier lieu de construction de la personne, la famille peut aussi représenter le premier lieu d’exposition aux violences. Michèle Cautelin a proposé un exposé né de son travail quotidien auprès des personnes exposées à la violence. Violences infligées à elles-mêmes, conduites addictives ou suicidaires ; violences infligées aux autres comme les parents maltraitants ; ou encore les victimes de violences familiales ou conjugales.

La violence s’avère être un question centrale de la vie de l’homme. La vie quotidienne réintroduit sans cesse en effet l’énigme du mal. En cela, la question de la violence parle de l’homme et de la condition humaine.

La première violence à laquelle l’homme est soumis c’est la conscience de sa finitude. Mais ce que Michèle Cautelin appelle «le premier trauma», est aussi source de construction individuelle.

Ce trauma dépassé, le destin de l’homme est d’être travaillé par la volonté de puissance. Il trouve alors un équilibre entre sa tendance aux violences destructrices et sa capacité désirante.

Dans ce cheminement vers l’équilibre, l’homme doit être accompagné. Apprendre à supporter les frustrations et les interdits est un passage obligé. C’est au sein de la famille que se fait cet apprentissage. Cela s’appelle l’intériorisation de la loi symbolique. Elle ne peut se faire sans amour.

Il arrive que les parents ne sachent pas poser l’interdit, indispensable à l’équilibre futur de l’individu. Soit le parent est incapable d’interdire, incapacité déstructurante pour l’enfant. Soit le parent est dans l’excès d’interdit. Dans ce cas-là l’enfant vit une situation de maltraitance voire d’asservissement.

« L’interdit représente ce qui est dû, ce qui a été reçu et ce qui devra être transmis », a expliqué Michèle Cautelin. L’expérience d’enfant du parent est donc toujours mobilisée lors de la transmission du parent à l’enfant. Or, il arrive que les parents n’arrivent pas à dépasser avec leur enfant les défaillances graves de leur propre enfance.

Pour Michèle Cautelin, « la capacité à ressentir de l’empathie envers les personnes vulnérables dépend de la façon dont notre vulnérabilité a été accueillie dans notre enfance ». Mais une parentalité dysfonctionnelle n’implique pas forcément un déséquilibre futur. Les manques peuvent être résolus dans d’autres sphères que la famille.

Dans les cas où l’enfance déstructurée ne peut être dépassée, « la violence devient l’expression d’une image de soi honteuse et mauvaise ». Elle se reporte sur différentes sphères du quotidien. « En mettant en scène le drame dans lequel l’individu a été pris, se rejoue la violence subie ».

Il est donc important que la famille soit limitée dans ce rapport intime et fondamental qui se joue avec le futur individu. « Il n’y a pas de parentalité sans contexte social », a assuré Michèle Cautelin.

L’appréhension de l’importance des conséquences de la violence familiale a mis au jour deux tendances qui doivent être conjuguées : la famille ne doit pas rester toute puissante, il importe de modérer son action.

La responsabilité collective ne doit pas être oubliée. La société a parfois des modes de communication violents. « Nous avons vécu une avancée technologiques qui réinvente le sacrifice humain de façon douce », a illustré Michèle Cautelin, qui a rappelé que l’horizon de l’homme ne peut être seulement celui de consommateur.

De même d’importantes évolutions sociétales sont actuellement à l’œuvre. Or, reconnaître que cette complexité n’est pas accessible à tous est essentielle. Il importe donc de se pencher sur certaines questions si on veut tempérer la violence dont peut faire preuve un individu :

-comment refonder les valeurs sociales pour le plus grand nombre

-comment réintroduire la collectivité dans un monde marqué par les droits individuels

-comment articuler le respect des droits et des différences

Les questionnements de Michèle Cautelin ont suscité un grand nombre de réactions. Le débat s’est prolongé sur l’importance évoquée par la psychologue clinicienne de l’acceptation individuelle des fragilités inhérentes aux individus, « la fragilité est notre première richesse ». Sur le chemin du déjeuner, l’assistance était unanime sur la qualité de l’intervention.

Armelle Le Goff

Etudiante au Centre de Formation des Journalistes

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