Dossier Rencontres anuelles

Synthèse de la session 1997

Les migrations dans le monde, en Europe et en France

Synthèse de la session 1997 des Semaines sociales de France, « L’immigration, défis et richesses ».

En cette fin de XXe siècle, il nous faut prendre pleinement conscience de ce que le problème des migrations ne concerne pas simplement la France et les pays développés, mais la planète tout entière : sur un ensemble estimé de 130 millions de migrants, seulement 45 % vivent dans les pays industriels et près du tiers se trouvent en Afrique subsaharienne. Les causes de ces migrations sont partout les mêmes, mais avec des pondérations différentes : trouver du travail, échapper à des crises politiques (les réfugiés), s’adapter à de nouvelles réalités géopolitiques (le démantèlement de l’URSS). Le tiers des États du monde ont mis en place des politiques de contrôle des flux migratoires.

De terre d’émigration vers les pays neufs d’Amérique qu’elle était au XIXe siècle, l’Europe est devenue globalement terre d’immigration après 1945 pour répondre aux immenses besoins de la reconstruction, mais avec des cas de figure très variables selon les pays, l’Italie et l’Espagne n’étant devenus pays d’immigration que très récemment. Le cas de l’Allemagne est particulier : si elle est devenue aujourd’hui le premier pays d’immigration en Europe, c’est dû pour une part au fait que, suite à la chute du rideau de fer et au démantèlement de l’URSS, elle a reçu des centaines de milliers de membres des minorités allemandes d’Europe centrale et orientale. Mais la fin des Trente Glorieuses, le principe de la liberté de circulation à l’intérieur de l’Union européenne formalisé par les accords de Schengen, ont conduit la plupart des États européens à mettre en place des politiques de contrôle des flux migratoires très voisines. Dans le futur, les décisions dans ce domaine dépendront de plus en plus des instances européennes (traité d’Amsterdam).

Quant à la France, si elle a été un pays de forte immigration pendant les Trente Glorieuses, elle ne l’est plus maintenant. Dès 1974, elle a fermé ses frontières aux travailleurs étrangers, l’essentiel de l’immigration depuis cette date provenant du regroupement familial et de l’immigration clandestine ; elle accueille aussi de moins en moins d’exilés pour raisons politiques et de moins en moins d’étudiants. Il ne faut cependant pas sous-estimer la part que la population d’origine étrangère a prise dans la constitution de la France actuelle. Sans elle, nous aurions entre onze et douze millions d’habitants en moins, habitants qui ne sont pas tous des travailleurs mais qui sont tous des consommateurs. Il n’est pas démontré que nous aurions moins de chômeurs, car ces consommateurs nous feraient défaut et ces travailleurs n’auraient pas nécessairement été remplacés par des travailleurs d’origine nationale, puisque précisément nous avons fait venir des étrangers pour occuper des emplois dont nous ne voulions plus.

Nous serions de plus dans une contradiction totale si l’on pensait qu’on peut intensifier les échanges de biens, de services, de capitaux, de techniques et d’idées et réduire – dans le même temps – les mouvements de personnes. Non seulement ce serait contradictoire, mais aussi ce serait dangereux : le mur de Berlin est tombé sous la poussée d’une migration, facteur décisif de démocratisation ; la paix en Europe est fondée sur l’intensification des échanges, il en sera de même demain pour la paix en Méditerranée et dans le monde.

Vivre avec l’autre. Le chrétien et l’étranger

Pour les chrétiens, le rapport à l’étranger touche au plus profond de leur spiritualité. Le dessein de Dieu, les paroles du Christ en la matière, sont sans équivoque. La Bible est pour une large part l’histoire d’un peuple de migrants qui a été étranger en terre étrangère, qui a connu l’errance, l’exil. Sédentaire, il a été à son tour confronté à la question de l’accueil de l’étranger, et c’est à travers cette histoire que s’est manifestée la Révélation sur le sens de l’hospitalité et l’universalité de la fraternité humaine. Aux chrétiens d’y trouver la grille de lecture à travers laquelle nous avons à appréhender les problèmes de migration.

Nous sommes presque tous, en France, des gentils qui avons accueilli une religion venue du monde sémitique. Nous sommes tous différents et pourtant similaires, sinon semblables. Nous ne pourrons survivre, collectivement, qu’en exerçant un devoir d’hospitalité et qu’en reconnaissant un droit d’hospitalité. C’est-à-dire en récusant la cruauté dans nos rapports avec autrui, en refusant l’humiliation et en honorant la dignité de l’autre. Et lorsque l’on ne sait plus très bien qui on est soi-même, comme il arrive souvent, il est toujours plus difficile d’accueillir l’autre.

Naturellement cela ne peut exister sans réciprocité. Les règles de droit sont faites pour organiser celle-ci. Si je vais chez l’autre, je dois respecter ce qu’il est, dans son identité profonde.

Depuis Vatican II, l’Église s’est exprimée à de nombreuses reprises pour défendre les droits de l’homme migrant et dégager un certain nombre de principes que les États doivent respecter dans la gestion des phénomènes migratoires, convergeant ainsi avec les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Tout d’abord, le droit de vivre dans sa patrie est un droit premier. Il en résulte que chaque État a le devoir d’aider l’ensemble de ses ressortissants à vivre au pays, mais aussi que, pour atteindre ce but, les pays développés doivent multiplier leurs efforts de coopération avec les pays les plus pauvres.

Mais toute personne a aussi le droit d’émigrer. Les autorités publiques nieraient injustement un droit de la personne humaine si elles s’opposaient à l’émigration ou à l’immigration, à moins que cela ne soit exigé par des motifs graves et objectivement fondés, relevant du bien commun. Dans ce cas, un État peut avoir une législation de régulation des flux migratoires, mais cette législation doit tenir compte de trois droits fondamentaux qui ne peuvent être remis en question : le droit de vivre en famille, le droit d’asile et le droit de pratiquer librement sa religion.

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