Dossier Rencontres anuelles

Introduction Session 1997

Introduction à la session 1997 des Semaines sociales de France, «L’immigration, défis et richesses»

JEAN BOISSONNAT, président des Semaines sociales de France

Bienvenue à tous les participants à la 72e session des Semaines sociales de France. Vous serez encore très nombreux cette année. Peut-être même davantage que l’an passé où nous avions pourtant battu le record d’audience depuis la reprise des sessions régulières en 1987. Depuis 1995, ces sessions ont retrouvé leur rythme annuel, Peut-être n’est-ce pas sans rapport avec le fait que plus de 1 600 personnes ont participé à la session de 1996 qui était consacrée à « Entre mondialisation et nation, quelle Europe ? ».

Sans doute faut-il voir dans cette audience croissante l’expression d’une demande de la part des chrétiens et, sans doute, de la part d’une partie significative de la société française. Le succès remporté par les Journées mondiales de la Jeunesse l’été dernier – succès que personne n’avait véritablement prévu – n’est évidemment pas exactement de même nature que cet intérêt pour les Semaines sociales. 11 suffit de regarder notre salle pour constater que les moins de trente ans n’y sont pas majoritaires. Mais chaque génération peut exprimer des appétits convergents avec des moyens propres à chacune. Nous devons nous interroger pour savoir quels thèmes et quelles méthodes répondront demain aux demandes des moins de trente ans d’aujourd’hui. Ce sera au cœur de la session exceptionnelle, sur l’avenir du catholicisme social, que nous préparons déjà pour le mois de novembre 1999. Notez aussi que nous avons choisi le sujet de la 73e session qui se tiendra, ici même, du 20 au 22 novembre 1998 ; il portera (le titre définitif n’est pas arrêté) sur la démocratie aujourd’hui, son extension, ses faiblesses, le renouvellement de ses formes et la responsabilité des chrétiens dans sa mise en oeuvre.

Venons-en maintenant à ce qui nous réunit pendant ces trois jours, le thème de la 72e session : « Les migrants, défi et richesse pour notre société ». Pourquoi ce sujet ? Pourquoi ce titre ?

Il n’est pas besoin d’argumenter pour souligner l’actualité du problème. Nous ignorions, lorsque nous avons choisi le thème, qu’un débat parlementaire se déroulerait au même moment sur des lois concernant l’immigration et le code de la nationalité. Notre propos n’est pas de prendre position dans ce débat, même si nous ne l’ignorons pas. Notre préoccupation est, sur un sujet aussi controversé et chargé d’émotion, de reprendre pied avec la réalité sociale et avec les valeurs que notre foi nous propose pour y voir clair et pour agir pertinemment. Le titre que nous avons choisi reflète cette préoccupation. Nous parlons de « migrants » et pas seulement « d’immigrés », pour montrer que les problèmes ne doivent pas être posés seulement de notre point de vue de population d’accueil, mais aussi du point de vue de ceux qui viennent vivre avec nous, poussés par la nécessité, et que nous avons souvent appelés nous-mêmes à nous rejoindre. « Défi » et « richesse », parce que nous ne sommes pas aveugles : ce n’est jamais facile de faire vivre ensemble des populations héritières de cultures différentes et situées dans des positions sociales très contrastées ; ce n’est pas non plus évident pour tout le monde d’apprécier les valeurs que les autres nous apportent et celles que nous leur offrons. Gardons-nous de l’amertume comme de l’angélisme.

Cela dit, plantons brièvement le décor avant de donner la parole à toutes les personnalités — observateurs avertis, acteurs engagés — qui ont bien voulu, tant dans les exposés en séance plénière que dans les nombreux carrefours, nous aider à y voir clair.

Dans son livre sur L’identité française, le grand historien Fernand Braudel cite son collègue Lucien Febvre qui répétait : « La France se nomme diversité. » Et Braudel de commenter « Ce n’est pas seulement une apparence, une appellation, mais la réalité concrète, le triomphe éclatant du pluriel, de l’hétérogène, du jamais tout à fait semblable, du jamais tout à fait vu ailleurs. L’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, regardées d’un peu près, se nomment elles aussi diversité, mais sans doute pas avec la même profusion ou la Maine insistance. » Diversité des paysages, des langues, des structures familiales, des idéologies et des passions politiques. Julien Benda n’a-t-il pas dit que la France était une « affaire Dreyfus en permanence » ? Les apports de populations venues d’ailleurs, depuis les profondeurs de l’histoire, sur cette pointe avancée de l’Asie arrêtée par l’océan, ont naturellement contribué à produire cette diversité française. Peut-être est-ce à cause de cela que nous avons si tôt construit un État aussi présent, puissant, centralisateur, corset nécessaire à notre unité.

La France n’a pas été pour autant un lieu d’immigration massive en permanence. Celle-ci n’est apparue qu’au axe siècle lorsque les nouveaux besoins en main-d’œuvre de la société industrielle ont coïncidé avec l’effondrement de notre natalité – ce qui. nous distinguait, à l’époque, de tous les autres pays européens, lesquels étaient des pays d’émigration et non pas d’immigration . Si l’on appelle population immigrée le total des étrangers venus d’ailleurs (car il y a aussi des étrangers nés en France) et des Français par acquisition (naturalisés ou ayant acquis la nationalité française par leur mariage), on voit qu’au début du siècle ils étaient déjà plus d’un million. Au début des années trente, ils représentaient 6,6 % de la population de la métropole (c’était davantage que les immigrés aux États-Unis à la même époque) ; aujourd’hui, ils sont plus de quatre millions et représentent 7,4 % de la population. C’est plus que dans la plupart des autres pays européens, à l’exception de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, du Luxembourg et de la Suisse.

Cette estimation de la population immigrée sur notre territoire fait elle-même l’objet d’intenses controverses, reflets des passions politiques qui se sont exacerbées autour du sujet. Si l’on ajoute à la population immigrée, telle que définie ci-dessus, les étrangers nés en France, on aboutit à un total de cinq millions de personnes à la date du dernier recensement, en 1990. Etant donné l’ampleur du phénomène depuis près de deux siècles, on peut aussi estimer la population française d’origine étrangère plus ou moins lointaine. Et c’est ainsi que l’on a pu dire qu’un Français sur cinq (estimation certainement contestable) a au moins un grand-parent étranger. Ce qui est certain, en revanche, c’est que, compte tenu des dynamismes démographiques très différents des populations d’origine étrangère et de souche nationale, la population de la France métropolitaine serait inférieure de plus de dix millions d’habitants à ce qu’elle est, sans cet apport extérieur (Michèle Tribalat, sans doute la meilleure spécialiste de ces problèmes, cite le chiffre de douze millions dans un article récent, revue Population, janvier-février 1997).

Cette population immigrée est très inégalement répartie sur notre territoire: plus de 10 % de la population totale en Ile-de-France, en Corse et en Provence-Côte d’Azur; moins de 2 % en Basse-Normandie, dans les Pays de Loire et en Bretagne. Elle est presque deux fois plus ouvrière que la population totale (46,3 % contre 26,4 %). Elle est aussi deux fois plus touchée par le chômage.

Mais les trois grandes nouveautés, au cours des dernières années, se situent ailleurs: la population immigrée ne vient plus des mêmes pays ; elle ne vient plus pour les mêmes raisons ; et elle vient de moins en moins.

Elle ne vient plus des mêmes pays : au début des années soixante, près de 80 % de la population immigrée présente en France (il ne s’agit pas seulement des personnes arrivées à ce moment-là) sont d’origine européenne ; au début des années quatre-vingt-dix, ce pourcentage est tombé à 50 % ; à l’inverse, les populations d’origine africaine sont passées de 15 à 36 % ; et les populations d’origine asiatique d’un peu plus de 2 % à près de 12 %.

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