Dossier Rencontres anuelles

Famille, profession et vie sociale

Conférence donnée lors de la session 1995 des Semaines sociales de France, « Une idée neuve : la famille, lieu d’amour et lien social »

ROBERT ROCHEFORT, directeur du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC)

Il semble que nous n’ayons jamais eu autant de temps libre et que, pourtant, nous n’ayons jamais autant eu l’impression de manquer de temps. Si le « manque de temps » n’est pas le seul motif de la difficulté à vivre à la fois les exigences de la vie professionnelle, sociale et familiale, il en est souvent présenté comme le principal. Est-ce justifié ? Ou bien le manque de temps n’est-il pas un prétexte facile, une façon de ne pas avouer des tensions aux causes plus profondes ?

Le temps qu’occupe le travail dans une existence n’a jamais été aussi court et pourtant nous ne nous sentons pas du tout libérés par son emprise, c’est le moins que l’on puisse dire. Bien que notre société souffre d’un taux de chômage record, ceux qui ont du travail ressentent clairement qu’il les accapare totalement, qu’ils doivent y consacrer l’essentiel de leur énergie et souvent de leur temps. Et qu’en conséquence, cela se répercute sur leur vie familiale.

Comment expliquer ces paradoxes ? Que peut-on proposer pour améliorer cette situation ? N’y a-t-il pas également à réfléchir sur les valeurs ? Celles qui sont aujourd’hui le plus souvent mises en avant dans l’univers professionnel ne sont-elles pas profondément contradictoires avec celles nécessaires à l’équilibre familial ? C’est à tout cela que je vous propose de réfléchir ensemble.

Le constat, les causes et les conséquences des dysfonctionnements

Savez-vous qu’en 1800, le travail occupait 45 % du temps éveillé au cours de la vie, qu’il n’en occupait plus que 36 % en 1900 et qu’en 1994 ce taux n’atteint plus que 14 % ? Certes l’allongement de la durée de la vie contribue à expliquer cette baisse, puisque le capital-temps des Français a doublé en moins de deux siècles, mais il n’est pas un argument suffisant. La diminution s’observe égale-ment en valeur absolue : un homme consacrait 11 années de temps éveillé cumulé au travail en 1800, 12 années en 1900, soit un petit peu plus, mais seulement 7 années en 1994, soit presque deux fois moins. Il faut se rendre à l’évidence et s’en réjouir : le temps libre d’une vie est aujourd’hui trois fois plus long que le temps de travail et il a triplé depuis le début du siècle. Alors, comment comprendre que l’on court à ce point après le temps ? qu’on ait l’impression qu’il ne peut plus y avoir une vie familiale satisfaisante, ni une vie sociale associative consistante ?

Le tout premier élément de réponse m’a déjà été donné par René Raymond hier : la vie familiale, dans le passé, se confondait avec la vie professionnelle. Mais le second élément, c’est que les statistiques peuvent être trompeuses lorsqu’elles ne sont pas correcte-ment expliquées. Car en réalité, au cœur de la vie, entre 20 et 50 ans, dans les familles d’aujourd’hui, le travail occupe plus de place que ce n’était le cas il y a deux ou trois dizaines d’années.

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