Dossier Rencontres anuelles

Comment sortir de l’injustice des rapports Nord Sud?

Par Rubens RICUPERO et Pascal LAMY

BERTRAND BADRÉ : La première journée de cette session des Semaines Sociales a été placée dans une perspective Est/Ouest avec Bronislaw Geremek et Jérome Vignon, puis Ouest/Ouest (Europe/Etats-Unis) avec Philippe Van Parijs et Geneviève Médevielle. Nous poursuivons aujourd’hui en décalant notre boussole dans le sens Nord/Sud grâce à nos deux intervenants : l’un brésilien, l’autre français. Tous deux sont des chrétiens engagés, des « mordus » de la mondialisation, mais pas de n’importe laquelle : une mondialisation humanisée, une mondialisation organisée. Avec cœur et intelligence, ils vont nous parler d’une mondialisation que nous voudrions ‘juste’.

Rubens Ricupero est brésilien. Il fait partie de ces quelques hommes qui ont su ouvrir les pays du Tiers Monde à la dimension mondiale, globale. Il a su abandonner un discours Nord Sud traditionnel souvent stérile, pour promouvoir l’approche d’un monde juste. Universitaire et diplomate, il a aussi exercé d’importantes responsabilités politiques dans son pays et en dehors. Il a été en particulier ministre des finances en 1994, artisan du plan de stabilisation économique du Brésil, largement à l’origine des succès de ce pays aujourd’hui. C’est à cette époque qu’il a fait du rétablissement de la monnaie non seulement un préalable mais un instrument important au service du développement humain. Il a surtout été, après cette expérience et pendant près dix ans, le secrétaire général de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (C.N.U.C.E.D.). À ce titre, il a été un acteur particulièrement vigilant de la mondialisation au quotidien.

Pascal Lamy a déjà eu la gentillesse d’intervenir à Lille en 2004 dans la session L’Europe, une société à inventer. Comme Rubens Ricupero, il est sur le front de la mondialisation – et non pas dans la tranchée. Chef du cabinet de Jacques Delors à Bruxelles au moment de la mise en œuvre de l’acte unique du Traité de Maastricht, il a travaillé aux côtés de Jean Peyrelevade au sauvetage du Crédit Lyonnais, avant d’être nommé Commissaire européen chargé des négociations commerciales, et d’être élu récemment Directeur de l’Organisation Mondiale du Commerce. À ces deux derniers titres, il a été et est toujours un acteur majeur du cycle de négociations commerciales internationales, dit cycle du développement – on touche là au cœur de nos questions. Ce cycle qui, après des débuts prometteurs, semble être dans une situation plus difficile aujourd’hui.

Ce sont enfin deux vrais amis des Semaines Sociales, des amis de longue date, qui ont accepté de nous présenter leurs analyses.

RUBENS RICUPERO : Lorsque le prophète Nathan est envoyé par le Seigneur à David, après l’adultère avec Bethsabée et le meurtre de son mari, il lui raconte comment le riche, qui possédait « force moutons et bœufs », avait tué la seule petite agnelle d’un pauvre homme qui la traitait comme une fille, « mangeant de sa pitance, buvant à son bol, couchant dans ses bras ». David entra dans une violente colère contre cet homme et dit à Nathan : « Par la vie du Seigneur, il mérite la mort (….) et de l’agnelle il donnera compensation au quadruple, pour avoir fait cela et pour avoir manqué de cœur ». Nathan dit à David : « Cet homme, c’est toi ! »

L’exemple du marché du coton : cas d’injustice flagrante

Il y a quelques années, j’ai appliqué cette parabole judiciaire au scandale mondial du coton : les subventions annuelles d’environ 3 à 4 milliards de dollars qui permettent aux États-Unis d’être les plus grands exportateurs de ce produit, mais qui apportent la ruine aux agriculteurs de plusieurs parmi les plus pauvres pays de l’univers – le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et d’autres encore. Entre 2002 et 2003, quand les prix du coton s’écroulèrent à cause de la surproduction, l’ensemble de l’Afrique a perdu 300 millions de dollars ; l’Afrique de l’Ouest a vu ses recettes se réduire de 191 millions de dollars – l’équivalent de 1% du PIB du Burkina Faso et de 12 % de ses recettes d’exportation. Ce pays a perdu plus de ce qu’il avait reçu en matière d’allégement de la dette sous l’initiative pour la dette du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale.

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