Dossier Rencontres anuelles

Parole aux politiques

Conférence donnée au cours de la session 2006 des Semaines Sociales de France, « Qu’est-ce qu’une société juste ? »Poursuivez ici selon votre inspiration…

ROBERT ROCHEFORT : Les Semaines sociales ont toujours souhaité mener un dialogue fructueux avec les hommes et les femmes politiques. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de l’état actuel de crise et de défiance entre eux et les citoyens de notre pays. En cette période pré-électorale majeure, nous avions imaginé à l’origine organiser un débat entre les principaux candidats à l’élection présidentielle. Cela n’a pas été possible pour de multiples raisons ; certainement n’avons-nous pas vocation à singer les plateaux de télévision. Plutôt que de regarder des responsables politiques débattre entre eux, nous avons donc choisi de leur demander de s’exprimer successivement sur le thème de notre Semaine sociale. Les quatre hauts responsables qui ont accepté notre invitation ont tous marqué un grand intérêt pour nos travaux et ont accepté le cahier des charges que nous leur avons soumis, en particulier de prendre connaissance attentivement du document 12 propositions pour une société plus juste. Nous leur avons demandé de nous dire dans un premier temps quelle était leur conception de la justice et d’une société juste, puis de réagir en se positionnant vis-à-vis des propositions qui leur paraissaient essentielles. Enfin François Ernenwein, rédacteur en chef de La Croix, animera un dernier temps de questions, toujours autour de cette initiative inédite des Semaines sociales que sont les 12 propositions.

NICOLAS SARKOZY : J’ai tout d’abord des excuses à présenter à Michel Camdessus : lorsque j’étais ministre des finances, je lui ai demandé un rapport qui n’a pas eu tout l’écho qu’il méritait. Non pas parce qu’il n’était pas complet – il était à son image, passionnant et intelligent – mais je crains que ce rapport n’ait souffert à l’époque d’avoir été demandé par moi ! Il l’aurait été par quelqu’un d’autre, il aurait certainement mis la France devant ses responsabilités. Et ce qu’il disait était juste, par référence au sujet sur lequel vous réfléchissez ici.

Je pense que le thème de la justice que vous avez choisi est certainement l’un des thèmes les plus importants pour la France d’aujourd’hui ; c’est un sujet sur lequel j’ai moi-même beaucoup réfléchi et me suis souvent interrogé. Qu’est-ce que cela veut dire ‘être juste’ ? Juste, c’est un terme d’une richesse extraordinaire qu’on affaiblit en lui accolant des adjectifs. En général, quand on parle de justice, on dit « justice sociale ». Comme si la justice familiale ou la justice dans d’autres domaines n’étaient pas aussi nécessaires. Je pense profondément que le mot est en lui-même d’une richesse suffisante pour qu’on n’ait pas besoin de l’enfermer dans un adjectif qui réduit sa portée. La justice se suffit à elle-même.

Distinguer inégalités et injustices

Finalement, personne n’attend rien d’autre de la société où il vit que cela : que la société soit juste ; juste quand elle fixe des droits, juste quand elle fixe des devoirs, juste quand elle punit, juste quand elle récompense. Lorsqu’on présente les choses ainsi, on voit bien qu’on n’a pas besoin de préciser que c’est de justice sociale qu’il s’agit.

Je regrette cependant la confusion pratiquée parfois entre inégalités et injustices. Toutes les inégalités ne sont pas des injustices. La déclaration des droits de l’homme de 1789 énonce dès son premier article que « les distinctions ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». C’est à ce principe philosophique républicain fondamental que je veux me rattacher. Il faut en avoir une vision équilibrée et exigeante. Je crois comme vous que l’utilité commune ne justifie pas certaines rémunérations mirobolantes de chefs d’entreprise protégés par des indemnités de départ faramineuses. En revanche, je crois qu’il faut accepter que des gens qui innovent, qui misent leurs économies et plusieurs années de travail dans un projet d’entreprise, puissent être rémunérés à la mesure des risques qu’ils ont pris et des sacrifices qu’ils ont faits.

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