Dossier Rencontres anuelles

L’intelligence artificielle a-t-elle une âme ?

Le 26 juillet 2025, s’est tenue à Anglet (64) une rencontre sur l’intelligence artificielle (IA), à l’initiative de l’association des amis du cardinal Etchegaray, présidée par Jérôme Vignon. L’IA constitue l’un de ces « signes des temps » considéré par le pape François comme une manifestation d’un « changement d’époque » bouleversant le monde présent. Mais de quel bouleversement s’agit-il ? L’IA serait-elle faite de l’étoffe semblable à celle de l’intelligence humaine, au point de devoir la supplanter ? Vaste question existentielle adressée à trois experts du domaine.

Pour Serge Miranda, professeur émérite d’informatique à l’université Côte-d’Azur et promoteur de l’usage de l’IA à l’ESTIA[1], l’IA ne peut se comparer à l’intelligence humaine, si on l’examine à partir de son mode de fonctionnement technique. En revanche, elle est en mesure d’en augmenter les capacités dans certains domaines qui relèvent de la logique : on devrait donc parler d’intelligence augmentée. De même, l’IA ne crée pas de nouvelles idées, mais engendre des représentations inspirées de ce qui est enfoui dans ses bases de données. Enfin, l’IA ne pense pas : elle calcule et conclut, sur une base non rationnelle, à partir des algorithmes qui fournissent de ces données une interprétation probabiliste.

L’IA ne pense pas : elle calcule et conclut, sur une base non rationnelle, à partir des algorithmes qui fournissent de ces données une interprétation probabiliste.

Questionner le vocabulaire de l’IA ne conduit pas à discréditer les tâches accomplies grâce à son concours, mais éclaire le dialogue homme-machine au cœur du fonctionnement de l’IA. Par ce dialogue, l’IA devient un outil personnalisé qui sert à augmenter les capacités de l’intelligence humaine, sous réserve de mettre en œuvre deux conditions : développer un esprit analytique afin de poser les bonnes questions ; cultiver l’esprit critique.

Pour Inigo Martinez de Marañón, responsable scientifique chez ASTI[2], l’IA est mobilisée pour optimiser les comportements tout au long de la filière pêche, depuis la préservation des fonds et des espèces jusqu’aux préférences nutritionnelles des consommateurs, en passant par le guidage des navires. Pour ce faire, l’IA s’appuie sur un réseau mondial de données utilisables uniquement par les outils numériques et offre des solutions équilibrées sous le couvert d’un bien commun mondial : la réserve halieutique. L’IA est utile parce que les questions qu’on lui pose sont inscrites dans un cadre rationnel de référence, déjà structuré par les acquis scientifiques de la biologie marine et le droit de la mer. Un exemple qui illustre comment l’intelligence collective, nourrie par un sens du bien commun, peut se trouver « augmentée » par l’IA.

Pour Vincent Grégoire-Delory, maître de conférences en philosophie à l’Institut catholique de Toulouse, l’intelligence, dimension constitutive de notre humanité, est l’expression matricielle d’une nature humaine dans laquelle âme, esprit et corps sont indissociables, la corporéité se déployant elle-même dans trois dimensions, la pensée et les sentiments, les relations interpersonnelles, la conscience d’appartenance à l’humanité.

L’IA, en tant qu’une expression de la créativité humaine, produit, par le truchement de machines, des résultats d’apparence humaine, mais en réalité des « pseudos » ingénieux et réducteurs au regard de la matrice initiale. Ainsi, l’IA n’a seulement qu’une identité fonctionnelle et ne trouve une légitimité que par son utilité.

Le propre d’une logique fonctionnelle, dictée par le résultat, est d’avoir besoin de seuils mesurables pour s’exprimer. Prendre comme mesure de l’humain ce qui résulte de l’IA risque alors de conduire à une perte d’humanité.

La discussion fit ressortir des propos plutôt sceptiques, voire inquiets, pointant les risques d’une généralisation de l’IA dans nos sociétés, s’agissant notamment de sa diffusion selon une logique exclusivement marchande, de son impact sur le fonctionnement démocratique, du défi que représente toute forme de régulation, compte tenu de la puissance économique et financière des producteurs de l’IA. Á l’inverse, une attitude purement défensive à l’égard de l’IA doit-elle être préconisée ?

En définitive, cette rencontre illustra la nature dérivée de l’IA et sa nécessaire « évaluation éclairée en permanence par les critères de la dignité de la personne et de la fraternité humaine »[3]. Elle rappela aussi la richesse et le caractère intégral de l’intelligence humaine dont toutes les dimensions doivent être nourries. Une réflexion à poursuivre avec les SSF, à Bordeaux, lors de la rencontre annuelle et au sein des antennes régionales, notamment celle en création au Pays basque[4].

JÉRÔME VIGNON, président d’honneur des SSF

L’IA est le thème de la rencontre 2025 des SSF à Bordeaux et en ligne, les 15 et 16 novembre prochains, inscrivez-vous !


[1] ESTIA : école supérieure des technologies industrielles avancées – université de Bordeaux – à Bidart (64)

[2] ASTI est un grand laboratoire au pays basque espagnol dédié à l’amélioration des performances de la filière pêche.

[3] Déclaration Antiqua et Nova sur l’IA (Vatican, janvier 2025).

[4] Les SSF, ce sont aussi une vingtaine d’antennes partout en France, rejoignez la votre !

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