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Dossier Rencontres anuelles
Compte-rendu réalisé par Gilles De Courtivron
Atelier donné lors de la session 2009, « Nouvelles solidarités, nouvelle société »
Cet atelier a été coordonné par Gilles de Courtivron, administrateur des Semaines sociales, avec l’expertise de Céline Dumont, Réseau Chrétiens Immigrés, la participation active de Laurent Seux et Ludovic de Lalaubie, Secours Catholique, qui ont conduit les deux journées de préparation et la première partie de l’atelier, et de Jacques Dejean, Réseau Chrétien Immigrés, animateur de la table ronde finale.
Ont également participé à l’élaboration de l’atelier Claude Bobey, Les Amoureux au Ban Public ; Laurent Giovannoni, Cimade ; Nina Marx, CCFD-Terre solidaire ; Servane de Bouard et Agnès Haincaud, Secours Catholique ; Jacques Giraud, Association Georges Hourdin ; et François-Xavier Gublin, Délégation Catholique à la Coopération.
L’ ensemble a été construit à partir des témoignages et de la réflexion de quatre groupes de migrants qui ont travaillé pendant de longues semaines sur le sujet des solidarités nouvelles : le groupe AIME ; Les Amoureux au Ban Public du 93 ; le groupe Santi l’Afrance de Chambéry ; le groupe de travailleurs sans papiers en grève d’Aulnay (93).
Enfin les personnalités invitées au débat final ont fait preuve d’une parfaite disponibilité pour préparer l’atelier lors d’une matinée et accepter d’intervenir à partir et après l’intervention des migrants. Il s’agissait de Yannick Blanc, ancien directeur de la Police générale à la préfecture de Paris ; Laurent Giovannoni, Secrétaire général de la Cimade ; Jacques Toubon, ancien ministre et Président du Conseil d’Orientation de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration.
Introduction
Précisons d’emblée que le titre même de l’atelier, « les migrations en débat », imprimé depuis plusieurs mois, ne correspond pas tout à fait au contenu qui s’est imposé après le travail de préparation avec les groupes de migrants. Les causes et les conséquences de l’immigration en France n’y ont pas été directement débattues. Un forum de l’atelier a été mis en place sur le site www.ssf-fr.org pour permettre le débat sur ces questions et poursuivre les échanges.
Réfléchir ensemble aux nouvelles solidarités à mettre en place pour mieux accueillir les migrants qui vivent parmi nous sur le sol français, telle était la proposition de l’atelier, avec comme guide la phrase de l’évangile de Matthieu 25: « J’étais étranger et vous m’avez accueilli ». La réflexion commune s’est élaborée à partir de et avec la parole des migrants qui ont bien voulu se joindre à nous. Les Semaines sociales sont en effet désormais convaincues que la grande pauvreté et l’exclusion commenceront à disparaître le jour où celles et ceux qui en sont victimes ne seront plus uniquement considérés comme des personnes à aider ou à assister, mais comme des personnes avec qui il est indispensable de s’associer pour élaborer et conduire un projet de société commun. L’atelier s’est composé de trois parties : la présentation des groupes de migrant; le travail de réflexion par petits groupes de participants ; la table ronde.
1. Présentation des groupes de migrants
Pour clarifier quelques données: le groupe AIME
Le groupe AIME (Action Institutionnelle Migrants Étrangers) s’est constitué avec l’appui du Secours Catholique de Paris pour intervenir après des pouvoirs publics et de l’opinion publique afin de faire évoluer les préjugés qui entourent les immigrés. Le film Préjugés qu’il a présenté donne la parole aux migrants et à divers spécialistes de l’immigration.
Fatoumata Traore et Boubou ont tenu à préciser la différence entre un migrant et un étranger : le migrant réside dans un pays autre que celui dans lequel il est né et dont il n’a pas encore acquis la nationalité (les migrants représentent 3 % de la population mondiale); l’étranger désigne celui qui ne possède pas la nationalité française. Il peut n’avoir jamais migré: c’est le cas des personnes nées en France, mais qui n’en ont pas la nationalité. À l’inverse, on peut être immigré, mais pas étranger, comme les personnes nées à l’étranger, installées en France et qui en ont la nationalité. L’ Europe des Vingt-sept compte 5 % d’étrangers.
Sur les droits à la vie privée et à la vie familiale :
Le groupe des Amoureux au ban public du 93
Au mois de juin 2007 naissait à Montpellier, sous l’impulsion et la solidarité de la Cimade, le premier collectif des Amoureux au ban public. Par cette initiative, plusieurs dizaines de couples mixtes décidaient de s’engager dans la défense de leur droit à mener une vie familiale normale mise à mal par le durcissement continu des lois et des pratiques administratives. En quelques mois, les “Amoureux au ban public” sont devenus un mouvement citoyen national implanté dans de nombreuses villes de France et rejoint par près de deux mille couples mixtes.
À travers une scénographie, quatre couples mixtes ont exprimé ce que vivent les migrants, les situations auxquelles certains sont confrontés, leurs difficultés, les solidarités vécues, celles de leurs conjoints, du collectif, et parfois de leurs familles. Pour que leur droit de mener une vie familiale soit pleinement respecté, ils ont demandé :
– la délivrance automatique d’un titre de séjour et d’un visa d’entrée en France aux étrangers vivant en couple avec un Français, quelles que soient les conditions de leur entrée et de leur séjour en France ;
– la garantie d’une situation administrative stable par la délivrance de plein droit d’une carte de résident un accès facilité à la nationalité française
– le droit au séjour en France en cas de divorce, de séparation ou de décès du ressortissant français
– l’interdiction de prononcer l’éloignement d’un étranger vivant en couple avec un Français et la fin du caractère délictuel du séjour irrégulier en France
– l’amélioration des conditions d’accueil étrangers dans les administrations.
Pour améliorer le vivre ensemble : le groupe Santi l’Afrance
À l’initiative du Secours Catholique, le groupe Santi, qui signifie voix en swahili, l’Afrance, pour l’Afrique + la France, s’est constitué à Chambéry dans une communauté d’Africains majoritairement originaires de la République démocratique du Congo (RDC). Depuis plusieurs années, ils réfléchissent aux questions suivantes : doit-on définir l’intégration comme l’adaptation à un cadre existant ou peut-n imaginer la possibilité d’enrichir le cadre de sa propre culture ? Y a-t-il un regard négatif sur les Africains ? Et si oui, pourquoi ? Y a-t-il une identité africaine ? De qui parle t-on quand on parle d’Africain ?
La définition de l’intégration par le Haut Conseil à l’intégration (1991) met l’accent sur la participation active à la société de toutes les personnes appelées à vivre durablement ensemble, en acceptant que subsistent les spécificités, notamment culturelles, mais en insistant sur les convergences dans l’égalité des droits et devoirs afin d’assurer la cohésion du tissu social. Pour le groupe présent, cette définition n’est malheureusement pas prise en compte. C’est ainsi que l’Africain noir se sent fragilisé et inutile, en particulier quand il entend dire parfois : « c’est le noir qui importe la misère en France… ». Selon eux, les Français pensent généralement que « l’Africain est un paresseux qui vient chercher une vie facile ici ». Pourtant, certains demandeurs d’asile du groupe ont été obligés d’abandonner leur travail et leurs études. Ils se sentent humiliés de ne pas être utiles à la société française parce qu’ils ne peuvent pas travailler. Ils insistent sur le fait qu’en Afrique le travail ennoblit et valorise l’homme. Ils regrettent que le parcours d’insertion professionnelle en France ne prenne pas en compte ce qu’ils savent faire. Leurs diplômes sont sous-estimés, leurs capacités intellectuelles et leur savoir mis en doute.
Pour eux, il vaut mieux parler de vivre ensemble, qui impose un effort commun de faire un pas l’un vers l’autre, que d’intégration. Les Français doivent considérer les Africains non pas comme des intrus dans le système, mais comme une pierre pour l’édification d’une nouvelle société où chacun aurait sa place. De ce fait, ils regrettent qu’en matière de logement, des quartiers entiers soient réservés à des gens issus de l’immigration. Du coup, les Africains, par exemple, vivent comme dans leurs pays et ne ressentent pas le besoin d’apprendre la langue et la culture françaises. Pourtant vivre ensemble ne signifie pas vivre avec une culture différente.
Pour les membres de Santi l’Afrance, il faut avant tout lutter contre les préjugés, comme celui de « l’Africain paresseux en quête de la belle vie en France ou venu prendre le travail des Français ». C’est par le travail, l’habitat, le mariage, la culture, le sport, l’école, la religion, la citoyenneté que nous pourrons créer du commun. Le vivre ensemble implique un mouvement de toutes les personnes, qui dépasse l’effort unilatéral souvent demandé à l’étranger. C’est la rencontre de deux peuples et de deux cultures qui amènera à la création d’une société nouvelle.
Sur le travail des migrants : le groupe de travailleurs sans papiers d’Aulnay
Les travailleurs sans papiers venus participer à cet atelier étaient salariés d’une société de nettoyage de 1 500 salariés en Ile de France, dont une très grande partie est sans papiers. Ils expliquent ne pas avoir obtenu de titre de séjour malgré plusieurs tentatives de régularisation, et bien qu’ils aient travaillé depuis plusieurs années sans interruption en France. Depuis le 12 octobre, ils sont une trentaine en lutte pour obtenir des titres de séjour, qui leur sont refusés malgré les ouvertures envisagées par la loi de 2007. Ils expliquent que fin 2007, leur patron, qui les savait sans papiers depuis le premier jour, fut alerté par la préfecture. Aussitôt il commença à forcer certains d’entre eux à signer une lettre de démission pré-rédigée pour ne pas leur payer les indemnités de licenciement. Ceux qui refusèrent de signer furent malgré tout licenciés oralement. Face à cela, plusieurs se retournèrent alors vers la CGT qui proposa à l’entreprise de signer un protocole d’accord : le patron s’engageait à faire la démarche de régularisation des travailleurs en CDI, conformément aux textes de 2007 et 2008 ; les salariés s’engageaient de leur côté à ne pas poursuivre l’entreprise aux Prud’hommes. Ces conditions convenaient aux deux parties, mais à la surprise générale, la Préfecture refusa les régularisations, contrairement aux textes officiels, et envoya une « obligation de quitter le territoire français » à tous les demandeurs. L’objectif de leur grève est donc d’obtenir une circulaire obligeant toutes les préfectures à régulariser les travailleurs sans papiers en CDI.
Pour décrire leur situation, les membres du groupe ont souligné qu’ils étaient en France parce que les gouvernements de leurs pays – Sénégal, Mali… – ne leur donnent pas les moyens minimums pour subvenir aux besoins de leurs familles. Ils ont précisé que pour pouvoir travailler, ils sont obligés d’utiliser les papiers d’autres migrants qui, eux, ont été régularisés. Du coup, ils sont souvent contraints par ces titulaires de papier de leur rétrocéder une partie plus ou moins importante de leur salaire. Les Français les considèrent souvent comme des fraudeurs, mais c’est tout un système qui profite de leur situation. Ils acceptent un travail dont personne ne veut : par exemple, le marteau piqueur sans pause pendant une demi-journée, ou le nettoyage des toilettes collectives de grandes entreprises. Quant à leurs employeurs, ils ferment les yeux sur leur situation, mais surtout, en cas de non-respect du code du travail, ils peuvent utiliser la menace de la dénonciation à la police. Enfin, l’État français aussi y trouve son compte, puisqu’ils paient leurs impôts, la sécurité sociale, les Assedic.
Mais les membres du groupe ont tenu à souligner que dans leurs situations très difficiles, ils rencontrent de vraies solidarités en France : de la part de syndicats, comme la CGT, qui les ont aidés à fédérer plus de 4 000 travailleurs étrangers sans papiers dans le conflit actuel ; de la part d’ONG, comme la Cimade, qui les aident à défendre leurs droits. Et ils apprécient d’autant plus cette aide qu’elle leur est souvent donnée par des jeunes qui, a priori, ont moins de temps disponible. Entre eux aussi la solidarité est forte. Dans leur entreprise, la solidarité dans la grève n’était pas évidente au départ, car ils ne se connaissaient pas, travaillant chacun chez des clients différents. Ils n’hésitent pas à loger et nourrir gratuitement les « frères » au chômage : une tradition africaine qu’ils sont fiers de vivre ici comme là-bas. Enfin, et surtout, leur solidarité majeure, c’est le soutien financier permanent vers leurs familles restées en Afrique.
En conclusion de leur présentation, les membres de ce groupe ont énoncé les solidarités qu’ils souhaiteraient voir mises en place :
Entre eux tout d’abord, afin que leurs frères s’engagent en plus grand nombre et en particulier dans la lutte en cours, pour mieux coordonner les actions des différents collectifs de sans papiers.
De la part de l’État français ensuite : ils ont estimé qu’une solidarité minimum serait de régulariser leur situation et celle de tous ces travailleurs qui, dans des conditions de vie difficiles, contribuent à l’économie et donc à la richesse du pays, afin que chaque personne qui peut présenter un contrat de travail en CDI obtienne un titre de séjour l’autorisant à travailler en toute légalité et dignité.
Ils souhaitent que leurs employeurs appliquent simplement le code de travail en respectant le principe républicain de l’égalité entre tous, étrangers et Français, au lieu de demander au travailleur étranger ce que lui interdit le droit du travail pour des Français. Enfin, ils demandent des lieux de dialogue et d’échange pour réduire les tensions entre les communautés qui ont pourtant une partie d’histoire commune, ainsi que l’assouplissement de la délivrance des visas pour permettre des allers-retours et une connaissance mutuelle des cultures. Alors que les citoyens européens circulent librement dans le reste du monde, eux sont contraints de rester des années en France sans possibilité de revoir leur famille.
2. Réflexion par petits groupes
Dans le prolongement des exposés des différents collectifs, Ludovic de Lalaubie et Laurent Seux ont partagé la salle en six parties et invité les participants à se regrouper par petits groupes durant une vingtaine de minutes pour réfléchir ensemble à l’une des six questions suivantes :
– À quelles solidarités avec les migrants sommes-nous invités, personnellement ou avec d’autres, pour améliorer leur vie privée et familiale ?
– Quels sont les changements institutionnels et politiques qui constitueraient de nouvelles solidarités et permettraient d’améliorer la vie familiale des migrants ?
– À quelles solidarités avec les migrants sommes-nous invités, personnellement ou avec d’autres, pour améliorer le vivre ensemble ?
– Quels sont les changements institutionnels et politiques qui constitueraient de nouvelles solidarités et permettraient d’améliorer le vivre ensemble avec les migrants ?
– À quelles solidarités avec les migrants sommes-nous invités, personnellement ou avec d’autres, pour améliorer les conditions dans lesquelles les migrants travaillent ?
– Quels sont les changements institutionnels et politiques qui constitueraient de nouvelles solidarités et permettraient d’améliorer les conditions dans lesquelles les migrants travaillent ?
Chaque groupe de personnes avait pour consigne de remettre leurs propositions par écrits aux personnes chargées de synthétiser les suggestions au cours de la table ronde qui a suivi.
3. Quelles nouvelles solidarités en faveur des migrants ?
Ont participé à cette table ronde animée par Jacques Dejean : Donatien Beya, Santi l’Afrance ; Yannick Blanc ; Alice Fontaine, Amoureux au Ban Public ; Laurent Giovannoni ; Mamadou Sidibe, Travailleurs sans papiers ; et Jacques Toubon.
Pour chaque thème, le débat fut ouvert par la présentation d’une double liste des propositions – solidarités personnelles et solidarités institutionnelles – nées des sous-groupes de participants, soumises ensuite aux réactions des participants de la table ronde.
Vie privée et familiale
Au niveau des personnes: organiser des lieux de rencontre: fêtes, découverte de la cuisine ; pratiquer les échanges de savoirs réciproques, notamment des langues ; parrainer des familles pour les démarches à effectuer ; faire que les couples mixtes deviennent des acteurs et des passeurs de culture.
Au niveau des institutions: exiger le respect de la liberté fondamentale du mariage et l’arrêt des enquêtes ; délivrer automatiquement visas d’entrée et cartes de séjour pour les couples mixtes ; délivrer des cartes de résident avec interdiction d’expulsion, surtout pour ceux qui travaillent en France et qui ont des enfants.
Laurent Giovannoni a d’abord rendu hommage à ceux qui ont témoigné avec courage. Pour lui, la situation actuelle est le résultat d’une dérive des politiques européennes depuis 20 ans, celles-ci visant avant tout à protéger l’Europe des migrations. Au nom du besoin de contrôle des mouvements migratoires, s’est instaurée une restriction des droits et une suspicion systématique. En multipliant les conditions requises, on a mis en place des barrières, avec une grave réduction des droits et une précarisation des situations, explique-t-il. Il y a désormais deux poids et deux mesures entre Français et étrangers ; l’universalité des droits fondamentaux est sapée. Que faire ? D’abord, ne pas se faire d’illusions, mais aussi soutenir toutes les personnes qui décident ensemble de se mobiliser en considérant que c’est le problème de tous, qu’il s’agit du respect, de l’égalité de tous. Il faut soutenir qu’il n’y a pas d’exception à l’égalité devant la loi.
Selon Jacques Toubon, les questions sont aujourd’hui européennes et non plus nationales. C’est au niveau européen que doivent être réglés les problèmes de contrôle, de fermeture des frontières et de droit d’asile. Au niveau des États membres, la politique est à peine harmonisée, chacun faisant plus ou moins ce qu’il veut. Mais il rappelle que l’Europe a tout de même permis un début d’harmonisation des droits par le haut. Cependant, on peut considérer que l’évolution est négative, non pas tant donc dans les droits, que dans leur application restrictive. Il y a une réelle tension entre les besoins des migrants et une tendance au rejet. D’ici à 2050, les évolutions démographiques vont complètement renverser les rapports entre l’Europe et l’Afrique. Il s’agit d’un bouleversement incontournable. En 1950, la population européenne représentait 20 % de la population mondiale et la population africaine, 4%. En 2050 les rapports seront inversés avec 4 % d’Européens et 20 % d’Africains. Si l’Europe ne sait pas régler le problème des rapports avec l’Afrique, l’Europe disparaîtra…
Yannick Blanc a témoigné de son vécu à la préfecture de police de Paris. D’abord, des nombreux coups de fil d’amis qui l’appelaient pour évoquer le cas de leur enfant vivant avec un conjoint étranger : cette situation est devenue de plus en plus fréquente et c’est une évolution forte chez les jeunes générations, cela entraînera forcément un changement du regard. Ensuite, des liasses de courriers reçus chaque jour par l’administration pour dénoncer des mariages blancs ou des escroqueries. Si on y ajoute les pressions des autorités, on comprend mieux le regard un peu déformé des agents administratifs devant cette concentration de problèmes. C’est comme cela que naît un climat de suspicion.
Alice Fontaine, pour sa part, a expliqué que l’amour avec son mari et sa foi sont ses seuls supports. À l’extérieur de son domicile, elle est en état d’angoisse permanente et se sent très faible face aux tracasseries de l’administration. Elle regrette l’absence d’écoute. Pour Jacques Toubon, une des réponses à l’ambiance générale de méfiance est le développement de la médiation, de l’intercession. Pour faire vivre la solidarité, il faut utiliser des canaux qui jouent leur rôle d’interface. L’administration est composée très majoritairement de gens de bonne foi, a-t-il insisté, elle est aujourd’hui plus réceptive qu’autrefois à l’action collective. Les migrants sont en attente d’une forme nouvelle de solidarité, a ajouté Donatien Beya : celle qui s’exprime dans la démarche de chaque jour, dans la façon de juger, celle qui essaye de comprendre malgré les faux-pas. Et Laurent Giovannoni de conclure : il y a besoin pas seulement de démarches collectives, mais aussi de « penser collectif ». Toutes les structures concernées ont besoin de s’ouvrir.
Vivre ensemble
Au niveau des personnes : faire un travail sur soi-même et sur le regard porté vers les migrants ; dire des paroles qui redonnent confiance ; considérer qu’il y a un devoir à être informé pour mieux combattre certaines formes d’idées; sensibiliser les entourages, des très proches au plus éloignés, en famille et sur le lieu de travail rejoindre les associations pour aider dans les démarches administratives et défendre les droits; rejoindre les paroisses et les lieux de culte pour en faire des endroits de débat et de rencontre qui donnent la parole aux étrangers favoriser les échanges spirituels, notamment chez les enfants ; prendre des initiatives d’accueil des parents dans les écoles où les enfants sont scolarisés, des rencontres, des sorties, etc.; mener toutes sortes d’actions collectives dans le sport, la cuisine, la couture, la culture, le soutien scolaire, l’alphabétisation, le parrainage.
Au niveau des institutions : favoriser les lieux de rencontre dans l’habitat; militer pour l’application des lois DALO ou SRU ; militer pour la représentation des migrants dans les instances communales, pour leur accès au vote dans les élections locales; favoriser la mixité sociale, notamment dans les écoles; reconnaître les diplômes étrangers; faire que les parlementaires portent une parole sur les migrants et aux migrants.
Jacques Toubon a retenu la proposition de droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales et européennes. Pour lui, c’est une question qui fait aujourd’hui clivage en France : une petite majorité est contre, une grosse minorité est pour. Mais il pense que le moment est venu pour un vrai débat, si l’on veut pouvoir l’appliquer en 2014. Un événement pourrait permettre de l’introduire le 50e anniversaire, en 2010, des indépendances africaines, une excellente occasion pour rappeler les liens historiques très particuliers qui unissent la France et un certain nombre de pays africains, et qui pourraient plaider dans le sens de la proposition évoquée.
Pour Yannick Blanc, s’il faut donner la parole aux étrangers, il faut d’abord répondre à la question : qui sont les étrangers? L’administration n’en sait rien, fait-il remarquer. Et comme il n’y a pas homogénéité des étrangers, on en vient facilement à un racisme qui catégorise. Dans son expérience à la Préfecture de police, ce sont les étrangers qui lui ont appris qui ils étaient. Il faut leur donner la parole, mais la parole ne va jamais de soi dans ce contexte. Il faut donc se poser les questions sur les conditions qui leur permettent de prendre la parole.
De quoi parle-t-on en matière d’intégration?, a demandé Laurent Giovannoni. Des nouveaux arrivants ou de ceux qui ont toujours été là ? D’étrangers ou d’intégration d’une classe sociale qui est au bas de l’échelle? Au fond, insiste-t-il, nous avons avant tout besoin d’une vraie politique d’égalité sociale qui lutte contre les discriminations.
Donatien Beya a regretté que l’Assemblée nationale vote des lois qui s’appliquent à des gens qui ne sont jamais consultés. Pour prendre de bonnes décisions, il faudrait que les migrants puissent s’exprimer.
Pour Jacques Toubon, l’intégration est à la fois une situation sociale et une action politique ; il faut des efforts réciproques. Chacun doit apporter une pierre qui permet de construire la maison commune. Aujourd’hui, constate-t-il, il y a une séparation sociale : les étrangers s’intègrent majoritairement à la classe défavorisée, une ségrégation s’installe. Mais il y existe aussi une note plus optimiste, il suffit de regarder ce qui se passe dans le domaine culturel, notamment pour la musique, la danse, les arts. L’Europe est en train d’intégrer une culture externe, la culture africaine. Finalement, l’intégration se fait dans l’autre sens. Et Alice Fontaine de dire le dernier mot sur ce thème : «Vivre ensemble, c’est apprendre la culture des autres».
Le travail
Les propositions au plan personnel : agir en citoyens solidaires, poser des questions aux candidats aux élections régionales ou aux députés ; s’engager dans des associations : Cimade, Ligue des Droits de l’Homme, etc. ; respecter et faire respecter le code du travail ; conscientiser l’opinion publique, éclairer et témoigner.
Au plan institutionnel : faire établir ou rétablir le processus de régularisation pour les travailleurs avec contrat ; obtenir une harmonisation des pratiques entre les préfectures ; arrêter le travail au noir et la monétarisation des contrats de travail ; reconnaître les compétences et les expériences des étrangers ; contrôler leurs conditions de travail, notamment en matière d’hygiène et de sécurité, faire appliquer le code du travail ; faire adopter une charte du droit du travailleur en Europe ; donner un rôle aux pays africains dans les grandes instances internationales.
En matière d’immigration, il faut se méfier des statistiques qui sont toujours fausses, a relevé Yannick Blanc. Aujourd’hui, la majorité des flux viennent du Maghreb, voire maintenant d’Égypte ou du Moyen-Orient. À propos de charte, il rappelle qu’il en existe bien une, la convention des Nations-Unies sur les travailleurs migrants, qu’il faudrait appliquer en France et en Europe. Sur la question de l’immigration familiale ou immigration de travail, il explique que le problème est biaisé et les statistiques n’en rendent pas compte. Les demandes de séjour se font en effet par la « case vie privée, vie familiale », parce que c’est la seule véritablement accessible. Et l’obtention de cette carte de séjour permettant d’accéder au travail, c’est en fait devenu le moyen d’intégrer aussi le monde du travail. Le système a généré le mouvement, qui a créé la statistique, qui a fabriqué les idées reçues. Un migrant migre toujours pour des raisons économiques. Il cherche du travail et il en trouve. Il y a ainsi un vrai/faux paradoxe : les migrants en situation irrégulière ont toujours du travail. Ils font les boulots les plus durs. Ils sont aussi très présents dans les services aux personnes. Il y a aussi une ambiguïté permanente entre migrants et étrangers. On mélange facilement leurs situations. Or ce n’est pas chez les migrants, c’est à dire ceux qui arrivent, qu’il y a un taux de chômage important. D’après Yannick Blanc enfin, il y a globalement un phénomène de discrimination massive, problème à la frontière de la migration et de l’exclusion sociale. Pourtant, il faut noter que chez les ados et les jeunes adultes, l’intégration se fait à toute vitesse, les jeunes partageant entre eux une culture diversifiée.
Jacques Toubon relève que pour le travail, la solution existe : c’est l’application de l’article 40 de la loi de décembre 2007. Il faut une circulaire qui oblige à l’appliquer de manière uniforme. Il faut de ce fait établir des critères et des listes de métiers où l’on pourra faire les régularisations rapidement. Une négociation est en cours entre les syndicats et l’administration. Espérons qu’elle aboutira vite et positivement. « Je ne voudrais pas terminer sans tirer un coup de chapeau aux groupes de migrants qui ont travaillé depuis plusieurs mois pour préparer cette réunion, a insisté Jacques Toubon. Dans le cadre de cette préparation, j’avais déjà eu l’occasion de les rencontrer et de me rendre compte du sérieux de leur démarche ».
Notre revendication majeure, a redit de son côté Laurent Giovannoni : c’est que tous soient égaux devant la loi. La revendication à la dignité doit être au cœur du pacte républicain. Et il faut se réjouir qu’aujourd’hui les grandes confédérations syndicales soient concernées par ce problème.
Conclusions
Difficile de prendre la parole après tout ce qui a été dit, a souligné Mamadou Sidibe, en lançant néanmoins un appel à tous les citoyens pour que la lutte pour leur régularisation soit un succès.
Fatoumata Traore, du groupe AIM E, a rassemblé en quelques mots l’essentiel des solidarités à promouvoir :
– changer les regards et sortir de la suspicion ;
– des droits appliqués pour tous ;
– des cours d’histoire africaine dans les écoles ;
– la prise de parole des étrangers face à l’administration ;
– considérer les étrangers autrement que comme des délinquants.
Remerciant les participants et les orateurs pour la qualité des échanges, Gilles de Courtivron, le responsable de l’organisation de cet atelier a indiqué en conclusion que, fortes de cette expérience de réflexion avec les personnes en difficulté, les Semaines Sociales entendaient bien poursuivre ce mode de travail dans les années à venir, y compris lors de la session 2010 sur le thème « Migrations et métissage ». Les participants se sont quittés au son du magnifique gospel interprété et créé pour l’occasion par le groupe Santi l’Afrance.
Le désert relationnel des jeunes, parlons-en !
Un furieux besoin de cohérence
Compte rendu – session 2022 – 2/3 Une planète vivable et pacifiée
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